Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/996

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il y a de général dans l’homme et son sort. » Voici cependant deux petites scènes d’idylle qui ne se laissent pas oublier :


« Comme je traverse la prairie, je m’appuie sur la barrière qui y donne entrée ; j’aperçois un petit enfant, presque un bébé, trébuchant dans les grandes herbes. Les hauts boutons-d’or ont poussé plus vite que lui et les reines-marguerites masquent à sa vue la cabane voisine où habitent ses parens. L’enfant a perdu son chemin au milieu des fleurs qu’il venait cueillir ; il ne sait de quel côté tourner dans cette jungle d’herbe tendre. J’entends un cri de détresse ; — un autre enfant, une petite fille qui a quelque deux ans de plus, j’imagine, accourt à son aide, le caresse et le calme, le reconduit à la cabane, qui est leur demeure à tous deux. Avec quelle gentillesse elle protège, et avec quel orgueil, elle qui est assez grande pour voir par-dessus les herbes ! Vous devinez que la bonne, l’aimable petite créature répète une leçon apprise, qu’elle fait comme elle a vu faire à sa mère ; vous remarquez avec un sourire le sentiment déjà complexe (sentiment de puissance mêlé d’amour) qui se révèle dans son zèle de protectrice ; vous observez comme le fil de la vie, alors même qu’il est le plus soyeux, se tisse vite de peine et de plaisir. Vous savez en outre que, sous le chaume de cette maison vers laquelle les deux enfans s’en vont la main dans la main, il bat un cœur de mère, source de cet amour mutuel, un cœur tendre et vrai dont vous oseriez à peine diminuer les anxiétés… »


La petite fille reparaît encore plus loin :


« Certains maux, dites-vous, ne poussent pas à l’action, ne mettent en jeu aucune énergie. Ce sont des maux qu’il faut simplement endurer, soit ; les endurer, c’est en triompher, c’est en tirer une force et une fierté… Je retourne à la prairie où j’ai vu les deux enfans au milieu des fleurs. L’enfance me fournira mon exemple. Cette fois je rencontre la sœur aînée toute seule. Elle ne me voyait pas ; je pus l’observer à son insu. Une touffe luxuriante d’orties poussait à côté de la haie ; je la vis avancer lentement, résolument sa petite main et toucher une des feuilles. Elle voulait essayer si elle pourrait supporter la douleur, la grave petite Spartiate ! Je lui demandai si elle savait que l’ortie fût piquante. Oh ! oui, elle le savait ; mais, ajouta-t-elle en rougissant moitié de souffrance, moitié de se voir observée, maman dit que si nous ne savons pas supporter la douleur, nous ne serons jamais bons à rien. Je voulais essayer ; cela ne fait pas tant de mal. — Ah ! petite Annette Foster, il n’y avait pas besoin d’aller chercher l’ortie, mais tu as bien supporté la cuisson, et je ne doute pas que tu ne supportes bien de plus grandes épreuves. »


Nous avons déjà fait connaissance avec le général Mansfield. Sa nièce Ada, qu’une infirmité a rendue plus réfléchie sans lui enlever la grâce de la femme, joue comme lui un rôle important dans les dialogues, et l’auteur se souvient ici d’avoir été poète dramatique : quelques touches lui suffisent pour faire vivre sous nos yeux ces deux figures principales. L’histoire des jeunes amours du général est d’un pathétique doux et simple. Officier sans fortune, au moment