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égorgés à la mamelle, des villages catholiques abandonnés aux flammes, de tous les malheureux qui, survivant à la mort ou au déshonneur des êtres les plus chers, se sont tués de désespoir ? Voilà ce que vous appelez la guerre de Dieu ! voilà ce qui a été fait dans notre Bohême par l’ordre du vicaire de Jésus-Christ ! »

Quelles étaient les ressources du roi George contre ce fanatisme féroce ? Plus ses ennemis s’acharnaient à irriter les passions religieuses, plus il s’efforçait de les contenir au sein de son peuple. Il aurait pu, lui aussi, donner à ses soldats ces armes empoisonnées. En poussant le cri de guerre au nom du divin calice, il eût aisément déchaîné les vieilles colères. Pour défendre la coupe sainte, Ziska lui-même serait sorti de son tombeau ; les taborites auraient bientôt reconstitué leur farouche république, et tuant, saccageant, entraînant sur leurs chariots la terreur et la mort, ils auraient enseveli l’armée de Mathias Corvin dans le même sépulcre où gisaient par milliers les soldats de Sigismond. Le roi George ne voulut pas de ce secours. Sa prudence politique, autant que sa haute humanité, lui interdisait les violences révolutionnaires ; n’était-ce pas s’aliéner à jamais les catholiques qui le soutenaient encore et répondre à leur loyauté par une trahison ? D’ailleurs, quand une fois on a démuselé le fanatisme, l’autorité cesse d’appartenir au plus digne, c’est le plus furieux qui est roi. On aurait vu reparaître les tribuns qui avaient mis la patrie à deux doigts de sa perte, et l’œuvre de restauration nationale, si vaillamment accomplie par George et les siens, eût été frappée à la base. Le roi, écartant la question religieuse, appela tous ses sujets, catholiques ou calixtins, à défendre la patrie en péril. Il ne s’agissait pas d’opposer des fanatiques à des fanatiques, mais d’expulser l’invasion hongroise qui souillait le sol de la Bohême. Noble et grande politique ! On ne s’étonnera pas cependant qu’à une époque où la foi, aveugle ou non, tenait plus de place au cœur des hommes que le sentiment de la patrie, la généreuse armée du roi George ait été pourvue de ressources moins redoutables que les fanatiques Magyars de Mathias Corvin.

Une autre cause encore explique les premiers échecs de la Bohême, je veux dire l’absence forcée du roi, appelé souvent par la politique loin du théâtre de la guerre. Podiebrad, qui avait montré les talens d’un capitaine dans les campagnes de sa jeunesse, avait toujours une âme guerrière dans un corps alourdi par les infirmités. Dès le début de la lutte, il avait pris le commandement, s’était porté en Moravie à la rencontre de l’armée hongroise, et l’avait obligée de battre en retraite. Enfermé près de la ville de Laa, dans une position inexpugnable, Mathias refusait la bataille, et George, qui ne voulait pas user l’ardeur de ses soldats dans les ennuis prolongés d’un blocus, était pourtant forcé d’attendre, l’épée au poing, que le Magyar