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collection des vases au palais Campana. Vous traversiez d’abord certaines longues salles où votre admiration cherchait à s’échauffer sans parfaitement y réussir. C’étaient ces mêmes vases qui sont là devant nous, c’étaient au moins leurs frères, des vases froidement beaux, parfaits, irréprochables, qu’on ne croyait pas voir pour la première fois. Peu à peu, après cette préface, vous montiez un étage, et on vous ouvrait une salle où, mêlés à une partie des bronzes, notamment aux armures, s’élevaient certains vases de dimensions extraordinaires. Rien que par leur grandeur ils attiraient vos regards : ceux-là du moins, vous ne pensiez pas les avoir déjà vus. Tout au plus vos souvenirs de Naples vous en rappelaient-ils quelques-uns de semblables : il y en a dix dans le musée Bourbon, et au Vatican trois ou quatre ; vous en comptiez jusqu’à trente-cinq dans cette salle du palais Campana, presque tous d’aussi haute stature, de vrais géans, devant qui les plus grands du musée Charles X semblent tomber aux proportions moyennes. Quels étaient donc ces vases ? Un merveilleux produit des fouilles de Ruvo, petit pays voisin de la Basilicate, singulière trouvaille, vases de luxe et d’apparat, destinés, selon toute apparence, à décorer les temples et les grands édifices. Mais, dira-t-on, la taille n’est pas tout, et en effet, s’ils n’avaient eu pour eux que leur insolite grandeur, les vases de Ruvo auraient bientôt lassé votre attention ; mais vous n’aviez pas le temps d’épuiser cette première surprise, que déjà vous étiez frappés de la noble élégance, de la beauté sévère des peintures qui couvraient ces vases. Ce n’était pas ce trait rapide et comme improvisé, ce mélange piquant de fantaisie et de tradition qu’on rencontre dans les peintures de tant de vases moins fastueux : c’était un art plus solennel, cherchant évidemment non pas à obéir aux modestes inspirations d’un pauvre peintre de fabrique, mais bien plutôt à reproduire les souvenirs classiques, les œuvres en renom des peintres des grands siècles. La plupart des compositions développées sur les flancs de ces larges vases semblaient, par leur grandeur même et par leurs mâles beautés, trahir cette noble origine. Or, quand on pense qu’il ne nous reste rien de tous les trésors de style, de forme, de pensée, qu’on appelait la peinture grecque, cette seule hypothèse que nous indiquons là ne donnait-elle pas aux vases de Ruvo une valeur inestimable ?

Eh bien ! tous ces grands vases, les trente-cinq, pas un de moins, et même encore quinze de plus, d’égale dimension, bien que d’autre origine, tous maintenant ils sont à l’Ermitage. On n’en a pas laissé même un échantillon. Ce n’est plus un simple prélèvement, comme tout à l’heure pour les bronzes ; le coup de filet est complet : au lieu de choisir, on a tout pris.

Et par malheur c’est ce même système, ce procédé radical, cet