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de crédit émis par le pouvoir fédéral, et il attendit avec patience les plans financiers que l’on préparait à Washington.

Le rapport de M. Chase, le secrétaire de la trésorerie, parut dans les premiers jours de décembre 1861 ; à en juger par comparaison avec les budgets auxquels nous sommes habitués, il paraîtrait effrayant. En Europe, les préparatifs militaires pour lesquels on s’épuise trop souvent sont comme un fonds placé sans intérêts, mais dont on retrouve du moins le capital au jour du péril. Quand la guerre éclate, une bonne partie des dépenses à faire est ainsi payée à l’avance. Aux États-Unis, la force avait résidé jusqu’ici dans les milices locales ; l’armée régulière, avec son modeste effectif de 13,000 hommes pour toutes les armes, la flotte de quatre-vingt-douze bâtimens, grands et petits, et portant seulement 2,290 canons, avaient été disloquées, anéanties avant la lutte par la violation clés arsenaux, par la désertion des officiers supérieurs attachés à la cause du sud. On a même soupçonné divers administrateurs d’avoir affaibli à, dessein le matériel et les cadres, suivant l’exemple donné par M. Jefferson Davis lorsqu’il était ministre du président Pierce. Il faut remarquer enfin que dans les états du nord on ne se décide pas aisément à violer les traditions de la liberté. Ce n’est qu’en ces derniers jours et avec de très grands ménagemens qu’on s’est résigné à essayer l’impôt forcé de la conscription. On attend tout du patriotisme des citoyens ou de leur cupidité, et assez souvent ces deux ressorts agissent à la fois. Chacun limite à son gré la durée de son service. On attiré les volontaires par l’offre d’une haute paie, par des primes d’engagement, par la promesse d’une alimentation dépassant de beaucoup l’ordinaire des soldats européens ; c’est ainsi qu’on a improvisé une armée de 738,000 hommes[1], armée brave et solide d’ailleurs, qui s’est imprégnée si rapidement de l’esprit militaire qu’elle fera certainement jaillir de son sein les chefs qui lui ont manqué jusqu’ici.

Le peuple américain se préparait donc, comme un athlète vigoureux, à faire son entrée dans la carrière des gros budgets. Le poids qu’il assumait pour son premier début dépassait tout ce qu’on a supporté en Europe. Pour l’année fiscale courant du 1er juillet 1801 au 30 juin 1802, M. Chase évaluait la totalité des dépenses à 2,652,032,110 francs, en attribuant à l’armée et à la flotte plus dès quatre cinquièmes de cette somme. Quelles étaient les ressources disponibles ? Le revenu ordinaire, dont l’estimation était évidemment

  1. L’effectif de la première armée américaine se décomposait ainsi :
    Armée régulière 20,334 hommes.
    Volontaires pour trois mois 77,875
    Volontaires pour la durée de la guerre. 640,637
    Total 738,846 hommes.