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leur mécanisme financier devient tout naturellement une machine de guerre. Quand le besoin d’emprunter se fait sentir en Angleterre ou en France, on entre en négociation avec les grandes, puissances de la finance, ou bien l’on ouvre un emprunt par souscription. Ces procédés seraient-ils efficaces, s’il s’agissait d’obtenir 10 milliards en trois ans ? Il est permis d’en douter. En Amérique, le déplacement du capital national, sa mise au service de l’état, se font en quelque sorte d’eux-mêmes. Les dépenses qui nécessitent les grands sacrifices se rangent presque toutes sous quatre titres : vivres, armemens, transports et solde des troupes. Le pays trouve en lui-même tous ces élémens de guerre : les lui demander, c’est lui procurer du travail. Quand une fourniture est faite, le secrétaire de la trésorerie délivre au vendeur un certificat constatant la dette : si celui-ci peut attendre, il transforme sa créance en inscription de rente à 6 pour 100 d’intérêt ; s’il a besoin de réaliser pour continuer ses affaires, il dépose ses titres dans une banque, et le compte courant qui lui est ouvert devient pour lui de l’argent en caisse ; si les banques existantes, saturées de capital, refusent de recevoir les dépôts à des conditions satisfaisantes, des banques nouvelles s’organisent en concurrence ; en même temps se complète la transformation en nouveaux papiers d’état du capital propre aux anciens établissemens de crédit. Les formidables émissions sont ainsi absorbées peu à peu.

J’ai expliqué avec détail comment il se faisait que les banques américaines, au lieu de procéder, comme chez nous, par des émissions de leurs propres billets, remplaçaient le billet de banque par le chèque, combinaient une circulation hasardeuse au moyen des crédits à découvert, ne gardaient qu’un encaisse insuffisant et vivaient dans l’appréhension continuelle de ces crises monétaires qui engendrent les faillites et deviennent désastreuses pour les capitalistes. Du moment où l’or et l’argent peuvent être remplacés par ces bons de circulation qui ont cours forcé, il n’y a plus de raison pour que les encaisses des banques s’affaiblissent d’une manière périlleuse. Les directeurs pourront donner à leurs affaires une extension aussi large qu’ils le jugeront convenable sans craindre que les chèques, présentés trop abondamment aux guichets, ne fassent le vide dans les coffres. On peut même prévoir que la pratique des banques sera complètement modifiée, qu’on n’échangera pas longtemps du papier contre du papier, et que les bons de circulation émis par la trésorerie remplaceront peu à peu les billets émanant des banques. Ces établissemens deviendront ainsi, plus qu’ils ne le sont aujourd’hui, l’organisme essentiel de l’état.

Ce qu’un pareil régime peut amener d’imprévu et d’étrange, je ne me charge pas de le dire. Je me figure vaguement une de ces