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pas tout à fait chez elle à Turin ; elle n’y vient qu’en voyageuse et s’y loge en garni. Le creuset où se fondent en une substance véritablement unique les élémens d’une nation, c’est la capitale naturelle, la capitale définitive. Turin pourrait à la rigueur être la capitale de l’Italie septentrionale ; cette ville ne peut être la capitale durable de l’Italie méridionale. Le lien politique de l’Italie ne peut être que Rome. Rome est la condition suprême de l’unité italienne. Ce ne sont point les fanatiques qui le disent, ce ne sont pas les démagogues qui le proclament ; ce sont les plus conservateurs, les plus circonspects, les plus sages des Italiens. C’est la conclusion inexorable qui nous frappait naguère dans l’écrit que vient de publier un des hommes les plus distingués du royaume de Naples, M. Manna : Le provincie méridionale del regno d’Italia. M. Manna est un économiste connu en Europe, un administrateur, et quoiqu’il soit un écrivain éloquent, ce n’est pas lui que l’on pourrait classer parmi les impatiens et les rêveurs. Ministre des finances de François II dans la période de transition qui a terminé le règne de ce prince, envoyé à Turin et à Paris pour ménager cette transition, estimé de M. de Cavour, qui le rangeait dans cette élite peu nombreuse où il se proposait de recruter ses plus efficaces auxiliaires, homme des transactions éclairées et prudentes, qui préfère le progrès lent et sûr aux improvisations saccadées de la passion et de la force, M. Manna rend aux mérites du Piémont toute la justice qui leur est due ; mais, cherchant un remède au malaise qui existe dans les relations du gouvernement de Turin avec les provinces méridionales, pour cimenter l’union du nord et du sud, il ne voit à proposer, hors de Rome capitale, que des expédiens précaires. « Le Piémont, dit-il, a sauvé et régénéré l’Italie ; mais ce qui suffit à faire un état ne suffit pas à le maintenir et à le reconstituer solidement… Il faut pour cela redonner à l’état les formes et les institutions qui s’adaptent le mieux au véritable caractère de la nation… les vrais élémens de la nationalité italienne, de cette nationalité religieuse et artiste, savante et littéraire, nourrie et élevée au milieu des grands souvenirs et des grands monumens, de cette nationalité prédestinée, depuis l’origine de la civilisation, à se relever et à reparaître sans cesse sur la scène du monde,… les vrais élémens de cette nationalité sont au cœur de la péninsule ; ils sont le long de la ligne mystérieuse qui court de Florence à Rome et à Naples, qui de là se dilate et rayonne vers les bords du Pô et les rivages des mers Tyrrhénienne, Adriatique et Ionienne.il serait donc impossible de faire renaître l’Italie et de la relever dans sa grandeur et dans sa majesté, si l’on ne plaçait pas dans ce vieux terrain les nouveaux fondemens. Il faut que l’Italie touche ce sol pour reprendre, comme l’Antée de la fable, une vigueur nouvelle. Là reposent les restes de tant de fondateurs d’états, de tant de fameux capitaines, de tant de législateurs, d’orateurs, de philosophes et d’artistes dont les noms et les œuvres sont l’entretien constant du monde, et dont la sagesse traditionnelle forme, à vrai dire, l’éducation des nations. La langue, les mœurs, les institutions de ces contrées sont imprégnées