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ESSAIS ET NOTICES


Un des plus jolis contes d’Hoffmann s’appelle la Vie d’artiste. En quelques pages exquises de fraîcheur et de sensibilité, le conteur allemand a su décrire l’état d’une âme de poète et de musicien a ce moment mystérieux où commence la vie de l’imagination avec ses extases et ses douleurs, ses aspirations fiévreuses et ses brusques défaillances. Un jeune Allemand initié par le chant italien à l’inspiration musicale, c’est là tout le thème ; mais avec quelle finesse il est traité, et comme un profond sentiment du beau anime ces pages légères ! L’étude est complète dans sa brièveté, et l’auteur ne nous laisse rien ignorer sur ce travail délicat par lequel un austère contre-pointiste se transforme en un amant passionné de l’idéal.

La vie d’artiste ! tel est aussi le sujet d’un roman intitulé Daniel Wlady, et qui s’offre à nous comme l’histoire d’un musicien[1] ; mais gardez-vous d’ouvrir ce livre après avoir lu le charmant conte de l’humoriste allemand. Ici malheureusement l’étude des premières sensations qui créent l’artiste et le poète, est à peu près absente. Ce qui se passe dans l’âme du musicien Wlady n’appartient nullement à. cet ordre de faits exceptionnels qui précèdent et préparent l’épanouissement d’une nature vouée au culte de l’art. On nous a donné ce livre comme l’histoire d’un caractère, on nous a même assuré qu’il avait charmé quelques connaisseurs ; nous le voulons bien, mais nous doutons fort qu’il satisfasse aucun de ceux qui lui demanderont sérieusement ce que le titre annonce et ce que des critiqués complaisans se sont hâtés de promettre. Il n’y a point là l’étude d’une âme d’artiste développant et fortifiant dans de salutaires épreuves ses facultés créatrices : il y a le portrait d’un égoïsme qui n’a rien que de frivole et de vulgaire, d’une de ces ambitions maladives comme chaque époque en voit éclore, et qui n’ont rien à nous apprendre sur les mystérieux phénomènes du monde de la pensée. Veut-on savoir dans quel ordre d’incidens l’auteur a placé l’intérêt ? Qu’on suive un moment dans ses traits principaux l’histoire de Daniel Wlady.

Qu’est-ce d’abord que Daniel ? Un pianiste prodige, qui, égaré par des succès hâtifs, commence par dissiper des facultés précieuses dans le tumulte des fêtes mondaines, pour revenir, sous le coup d’inévitables épreuves, au culte austère de l’art. Ce n’est donc pas Ici l’esprit de l’artiste, c’est son cœur qui est en cause, et l’histoire de Daniel, au lieu de nous offrir l’émouvant spectacle de facultés compromises se retrempant et se purifiant dans la bataille de la vie, cette histoire se composé d’une série de scènes et de portraits où revient à satiété l’éternel thème des petitesses du monde et des souffrances de l’artiste égaré dans les salons. Daniel est le fils d’un spéculateur de bas étage, qui exploite, son talent à peine formé, l’habille en Hongrois, et le promène de concert en concert à la recherche des applaudissemens, et surtout des florins. En regard du père de Daniel se placent le vieil

  1. Un volume grand in-18 ; Paris, 1862.