Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/335

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Cette perspective est certainement rassurante, mais elle est encore assez lointaine. La flotte nouvelle doit se composer de frégates et de batteries flottantes, formant trente-sept bâtimens du nouveau modèle. Dans le budget de 1863, 12,500,000 francs sont affectés aux constructions neuves. Avec une semblable allocation, on peut construire tout au plus deux frégates et quelques navires de moindre importance. Il faudra donc attendre bien des années encore avant que nous soyons en possession de notre nouveau matériel naval, à moins qu’on ne se décide à augmenter considérablement les ressources budgétaires du ministère de la marine.

Qu’on ne croie pas d’ailleurs que parce que nous aurons des escadres blindées nous pourrons nous passer des hommes de l’inscription. Ce n’est pas avec des frégates cuirassées qu’on pourra satisfaire à tous les besoins de notre politique et de notre commerce. La marine à voiles nous sera toujours utile pour nos stations, pour le service colonial, pour l’approvisionnement de nos établissemens de l’Océanie et de Cochinchine, pour des missions d’exploration, pour répondre à nos consuls et à nos représentons quand ils réclament la présence de notre drapeau, enfin pour la protection des intérêts français sur tous les points du globe. Ce n’est pas avec des bâtimens à vapeur, dont la dépense est si lourde, qu’on peut satisfaire à toutes ces éventualités qui naissent de la politique d’un grand peuple. Reconnaissons-le, nous sommes dans une époque de transition. La sagesse consiste donc à ne pas précipiter les résolutions et à savoir attendre les événemens. Si, étant donné la situation que nous venons de décrire, le gouvernement engageait notre marine marchande dans une lutte qu’elle n’est pas en état de soutenir, il assumerait sur lui une terrible responsabilité ; mais ce qui serait téméraire et impolitique aujourd’hui pourra dans quelques années être opportun et sans danger. L’influence de la révolution qui s’accomplit dans l’architecture nautique fera peu à peu disparaître beaucoup des causes d’infériorité que nous avons été conduit à signaler dans notre situation vis-à-vis de l’Angleterre. On peut prévoir les heureux effets qui seront obtenus au terme de la période de transformation qui commence. Un des plus grands sera de nous permettre, sans craindre aucun sacrifice de notre puissance navale, d’étendre à notre législation maritime le principe de liberté que nous avons introduit dans nos lois industrielles et commerciales. Sachons attendre avec confiance un tel résultat, et jusqu’à l’époque, prochaine sans doute, où il sera définitivement acquis, maintenons le statu quo.

Henri Galos.