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il oublia de dîner « malgré son appétit de treize ans, » et dorénavant il « inonda » de ces vieux vers non-seulement ses camarades d’école, mais encore tous ceux qui voulaient l’entendre. Devenu clerc chez son père, il fourrait dans son pupitre toutes les œuvres d’imagination qu’il pouvait trouver, non pas les romans d’intérieur « il lui fallait l’art de miss Burney ou la sensibilité de Mackensie pour l’intéresser à une histoire domestique, » mais les « récits aventureux et féodaux[1], » et tout ce qui avait trait « aux chevaliers errans. » Ayant fait une maladie, il fut retenu longtemps au lit avec défense de parler, sans autre divertissement que la lecture des poètes, des romanciers, des historiens et des géographes, occupé à éclaircir les descriptions de bataille par des alignemens et des arrangement de petits cailloux qui figuraient les soldats. Une fois guéri et bon marcheur, il tourna ses promenades au même emploi, et se trouva passionné pour le paysage, surtout pour le paysage historique. « On n’avait, dit-il[2], qu’à me montrer un vieux château, un champ de bataille ; j’étais tout de suite chez moi, je le remplissais de ses combattans avec leur costume propre, j’entraînais mes auditeurs par l’enthousiasme de mes descriptions. Une fois, traversant Magus-Moor, près de Saint-Andrews, l’esprit me poussa à décrire l’assassinat de l’archevêque de Saint-Andrews à quelques voyageurs dont je me trouvais le compagnon par hasard, et l’un d’eux, quoiqu’il sût bien cette histoire, protesta que mon récit l’avait empêché de dormir. » Entre autres excursions studieuses, il fit pendant sept ans un voyage chaque année dans le district sauvage et perdu de Liddesdale, explorant chaque ruisseau et chaque débris, couchant dans la hutte des bergers, ramassant des légendes et des ballades. Jugez par là de ses goûts et de son assiduité d’antiquaire. Il lisait les chartes provinciales, les plus-mauvais vers latins du moyen âge, les registres de paroisse, même les contrats et les testamens. La première fois qu’il put mettre la main sur un des grands cors de guerre qui servaient aux borderers, il en sonna toute la route. La ferraille rouillée et le parchemin sale l’attiraient, remplissaient sa tête de souvenirs et de poésie. En vérité, il avait l’âme féodale. « Pendant toute sa vie, son orgueil principal, dit son gendre, fut d’être membre reconnu d’une famille historique[3]. » — « Sa première et sa dernière ambition mondaine fut d’être lui-même le fondateur d’une branche distincte. » La gloire littéraire ne venait qu’en second lieu ; son talent n’était pour lui qu’un instrument. Il employa les sommes énormes que ses vers et sa prose lui avaient gagnées à se bâtir un château à l’imitation

  1. Romantic.
  2. Lockhart, t. Ier, p. 29.
  3. Id., t. IV, p. 329.