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se relit guère, et tombe volontiers dans le style pâteux et emphatique, qui est dans l’air et que nous respirons tous les jours dans les prospectus et les journaux. Bien pis, il est horriblement long et diffus ; ses conversations, ses descriptions, sont interminables ; il veut à toute force remplir ses trois volumes ! Mais il a donné à l’Ecosse droit de cité dans la littérature ; j’entends à l’Ecosse entière, paysages, monumens, maisons, chaumières, personnages de tout âge et de tout état, depuis le baron jusqu’au pêcheur, depuis l’avocat jusqu’au mendiant, depuis la dame jusqu’à la poissarde. À son seul nom, les voilà qui apparaissent en foule ; qui ne les voit sortir de tous les coins de sa mémoire ? Le baron de Bradwardine, Dominie Sampson, Meg Merrilies, l’antiquaire, Ochiltree, Jeanne Deans et son père, aubergistes, marchands, commères, tout un peuple. Y a-t-il un des traits écossais qui manque ? Économes, patiens, précautionnés, rusés, il le faut bien ; la pauvreté du sol et la difficulté de vivre les y ont contraints, c’est là le fonds de la race. La même ténacité qu’ils avaient portée dans les choses de la vie, ils l’ont portée dans les choses de l’esprit, studieux lecteurs et liseurs d’antiquités et de controverses ; poètes de plus : les légendes naissent aisément, dans un paysage romantique, parmi des guerres et des brigandages invétérés. Sur cette terre ainsi préparée et dans ce triste climat, le presbytérianisme a enfoncé ses âpres racines. Voilà le monde tout moderne et réel, illuminé par le lointain soleil couchant de la chevalerie, que Walter Scott a découvert, comme un peintre qui, au sortir des grandes peintures d’apparat, aperçoit un intérêt et une beauté dans les maisons bourgeoises de quelque bicoque provinciale, ou dans une ferme encadrée par ses carrés de betteraves et de navets. Une malice continue égaie ces tableaux d’intérieur et de genre, si locaux et minutieux, et qui, comme ceux des Flamands, indiquent l’avènement d’une bourgeoisie. La plupart de ses bonnes gens sont des comiques. Il s’amuse à leurs dépens, met au jour leurs petits mensonges, leur parcimonie, leur badauderie, leurs prétentions, et les cent mille ridicules dont leur condition rétrécie ne manque jamais de les affubler. Un perruquier chez lui fait tourner le ciel et la terre autour de ses perruques ; si la révolution française prend pied partout, c’est que les magistrats ont renoncé à cet ornement. « Prenez garde, Monkbarns, dit-il piteusement en retenant par la basque de l’habit une des trois pratiques qui lui restent, au nom de Dieu, prenez garde. Sir Arthur est noyé déjà, et si vous tombez par-dessus la falaise, il n’y aura plus qu’une perruque