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d’un rapprochement définitif entre M. de Cavour et M. Rattazzi.

Quoi qu’il en soit, ni les protestations de toute nature, ni les gages ainsi donnés, ne suffirent d’abord à gagner la faveur du chef du gouvernement français. À toutes ces avances, il demeura froid, impassible et plutôt sévère. Les relations étaient trop bonnes alors avec « le chevaleresque empereur d’Autriche » pour qu’elles ne fussent pas un peu tendues avec la cour de Turin. Notre cabinet donnait volontiers à entendre qu’il avait à s’en plaindre. Il annonçait à Vienne son intention de surveiller de près, dans l’intérêt de l’Europe, ce petit peuple et ce petit ministre trop remuans. Un de nos diplomates les plus distingués, M. de Butenval, s’il n’a pas oublié dans les loisirs du conseil d’état les souvenirs de sa carrière diplomatique, doit se rappeler qu’il n’avait pas tout à fait pour mission de se rendre agréable à la cour auprès de laquelle il était alors accrédité. Pendant longtemps, il ne s’échangea entre Turin et Paris que des relations où de notre part il entrait assez de sécheresse et de malveillance. Cependant M. de Cavour était patient, sinon résigné. Toujours attentif, toujours à l’affût, il attendait l’occasion.

La guerre de Crimée la lui offrit, et l’on sait avec quelle ardeur il la saisit ; mais sa pensée ne fut pas tout d’abord bien comprise, même en Piémont. Parmi ceux qui la devinèrent, plusieurs blâmèrent cette mise au jeu dans une partie si forte en vue d’un gain si problématique, et en tout cas si éloigné. Le roi seul et M. de La Marmora l’approuvèrent complètement. À Vienne, on ne s’y trompa point, et l’on vit aussitôt de quoi il s’agissait. « Voilà, dit un ministre autrichien en apprenant le traité signé à Turin, voilà un coup de pistolet tiré à bout portant à nos oreilles ! » Le public italien fut enfin mis sur la voie, et tous les compatriotes de M. de Cavour s’émurent, lorsque, pour prix de ses efforts persévérans, ils le virent au congrès de Paris s’asseoir avec aisance à côté des plénipotentiaires des grandes puissances européennes ; ils l’applaudirent avec transport lorsqu’au grand scandale des diplomates de l’école de M. de Metternich, il prononçait pour la première fois dans une réunion officielle le nom de l’Italie, et faisait entendre au monde entier le cri de douleur de ses populations opprimées.

Cette période de la vie de M. de Cavour est la plus connue, c’est pourquoi nous ne nous y arrêterons pas. Disons seulement que, dans la joie de ce premier triomphe, le jeune ministre piémontais fut peut-être conduit à s’en exagérer, sinon l’importance, au moins les conséquences immédiates. Il avait évidemment réussi à mettre la question italienne à l’ordre du jour de la diplomatie ; il avait gagné à sa cause une grande partie du public français, et, ce qui lui importait