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où s’opéra, non pas dans les sentimens ni dans les visées de M. de Cavour, mais seulement dans sa façon de se conduire, une transformation que le public européen n’a pas eu le temps de bien apercevoir, parce que le ministre piémontais fut trop vite enlevé par la mort au milieu même de son évolution. Évidemment l’esprit d’initiative, la hardiesse, l’audace même n’avaient jamais manqué à M. de Cavour. On l’avait toujours vu se porter de préférence au-devant des questions, traînant hommes et choses à sa remorque, brusquant les uns, forçant la main aux autres. Telle n’était plus désormais sa disposition. Habile comme il était, il avait garde toutefois d’en convenir ni même d’en rien laisser soupçonner à son entourage, car il entendait bien se servir encore, pour ses desseins nouveaux, de son ancienne réputation. Il ne lui déplaisait pas surtout que hors de l’Italie, au sujet des grandes affaires extérieures restées à l’ordre du jour, on le tînt encore pour l’homme ardent et pressé qu’il avait été. À vrai dire, il ne l’était plus. Il sentait que désormais l’important était de consolider la nouvelle monarchie, d’organiser en une nation compacte les diverses populations récemment agglomérées, et de les façonner à la liberté. Ces desseins, sur lesquels il ne s’ouvrait pas entièrement à ses partisans d’Italie, il les confiait à ses amis de Genève. « Ma tâche, écrivait-il à M. de La Rive, est plus laborieuse et plus pénible maintenant que par le passé. Constituer l’Italie, fondre ensemble les élémens divers dont elle se compose, mettre en harmonie le nord et le midi, offre autant de difficultés qu’une guerre avec l’Autriche et la lutte avec Rome. »

Ainsi, comme on le voit par ses propres expressions, ni la guerre avec l’Autriche ni la lutte avec Rome ne font partie à cette époque, nous ne disons pas du programme public, sur lequel il continue de les inscrire, mais du plan particulier que M. de Cavour se propose de suivre. Ce n’est pas la première fois que, dans la carrière de cet homme d’état, on rencontre ainsi en présence deux politiques, sinon opposées quant au but, du moins fort différentes dans leurs voies et moyens : l’une, volontiers retentissante, à l’usage du vulgaire, toute d’apparat et pour l’affiche ; l’autre réservée et modeste en apparence, moins bruyante à coup sûr, mais après tout aussi fière, et au fond beaucoup plus efficace. Il renonçait à prendre actuellement Venise et les trois forteresses à l’Autriche, parce qu’il aurait fallu recourir de nouveau à l’assistance militaire de la France, C’était assez de s’en être aidé une première fois, quand elle était indispensable. Par orgueil patriotique, il préférait attendre le moment où, toutes ses forces étant réunies et groupées en un seul faisceau, l’Italie pourrait, les circonstances aidant, tenter elle-même ce dernier et suprême effort. Peut-être d’ailleurs ne serait-il pas nécessaire d’en