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petites, et rien n’obscurcit chez un prince la lucidité habituelle du coup d’œil autant que l’excès de confiance provoqué par une longue suite de prospérités. Après avoir fondé sa dynastie et désarmé les factions, le roi Louis-Philippe ne donnait au soin des affaires intérieures qu’une attention distraite, et ce fut assurément pour n’avoir pas prévu celui de tous les périls qu’il aurait pu le plus facilement conjurer qu’on vit le prince qui, par des miracles de bonheur et d’habileté, avait découragé tous ses ennemis s’évanouir comme une ombre devant un caprice de la bourgeoisie parisienne.

Si, au lieu d’habiter les Tuileries et de s’y plonger dans la lecture presque exclusive des correspondances diplomatiques et des journaux étrangers, il avait été donné au roi Louis-Philippe de suivre le mouvement journalier de la vie parisienne dans les salons et les magasins, les tribunaux, les écoles, les postes de la garde nationale, il aurait à coup sûr acquis la certitude qu’il était urgent d’aviser. La session de 1847 avait été mauvaise, parce qu’elle avait été stérile, et qu’elle n’avait ouvert aucune perspective précise devant une majorité impatiente, quoique dévouée. Devant l’attitude de celle-ci, l’opposition avait senti redoubler sa confiance avec sa colère, et elle en était arrivée à ne plus marchander à ses auxiliaires ni le prix ni les conditions de la victoire. En commençant avec une chambre nouvelle cette étape de cinq années, le cabinet n’avait malheureusement pas été mis en mesure par la couronne de donner dans son programme le moindre aliment aux instincts d’une majorité accrue, mais transformée, instincts tellement impérieux qu’il dut, sous peine de tomber à l’instant même par l’abandon de ses amis, s’engager l’année suivante à trancher, avant la fin de la législature, la question des réformes, ou à laisser à d’autres le soin de la résoudre[1]. D’un autre côté, l’exportation du numéraire, provoquée par une récolte insuffisante, avait ralenti le mouvement des affaires, et les finances se trouvaient engagées par le vote d’ailleurs indispensable des grandes lignes de fer. Ajoutons que des malversations administratives et des crimes privés d’une proportion gigantesque étaient venus jeter sur la société et sur le pouvoir, qui en est l’expression, des lueurs sinistres, de telle sorte que le ministère eut à souffrir des actes mêmes dont il avait avec le plus d’énergie poursuivi l’éclatante réparation.

Pendant que les cœurs de la bourgeoisie semblaient, sous l’empire de circonstances fatales, se retirer de la royauté que cette bourgeoisie avait faite, tandis que le peuple de Paris, impatient d’un long repos, résumait sous quelques noms propres, selon son

  1. Discours de M. le comte Duchâtel à la chambre des pairs, de M. Guizot à la chambre des députés. Discussion de l’adresse (janvier 1848).