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terre la confiance, le travail, le crédit et les capitaux. On sait que M. Louis Blanc professait pour son idée un culte qui le dispensait de toute modestie quant à sa propre personne, et qu’il ne consentit qu’au prix de la présidence de l’assemblée siégeant au Luxembourg à renoncer à ce fameux ministère du progrès, hautement réclamé avec la béate confiance d’un homme disposant à la fois d’une panacée pour renouveler la face de la terre et d’une force suffisante pour l’imposer.

La logique, qui n’est jamais plus redoutable que durant la fièvre suscitée par les révolutions, avait déterminé la consécration d’un autre principe, et celui-ci ne pouvait manquer de préparer bientôt à tant de difficultés une solution sanglante. Le suffrage universel était considéré par l’école républicaine comme comportant l’armement universel des citoyens. Le droit au fusil sortait à ses yeux du droit au scrutin par une déduction considérée comme rigoureuse, quoique les admirateurs du système électoral aujourd’hui protégé contre toute discussion par la rigueur des lois pénales aient fort bien séparé depuis 1852 la conséquence du principe. Instituée en 1789 sur cette idée très rationnelle que les citoyens intéressés au maintien de l’ordre devaient être mis en mesure de le défendre contre ceux qui pouvaient être présumés en disposition de le troubler, la garde nationale se trouva établie au lendemain du 24 février sur une base toute différente. L’on posa en principe que tout Français a, par le seul fait de sa naissance, le droit naturel et imprescriptible de recevoir des armes des mains de l’état pour en user dans le sens de ses convictions personnelles. Cette doctrine toute nouvelle sous le soleil fut appliquée avec un sang-froid imperturbable par le gouvernement provisoire, qui crut avoir rendu à l’ordre public un service immense, quand il eut porté la garde nationale de Paris du chiffre de soixante-cinq mille hommes à celui de cent quatre-vingt mille. Il était difficile de pousser plus loin la confiance dans la vertu des théories, et de subordonner plus naïvement la politique à la logique révolutionnaire.

Ainsi se dessinaient en face l’une de l’autre les deux écoles, toutes prêtes à engager le combat dont la France était le prix. D’un côté figuraient les hommes qui, se rattachant sans équivoque à la tradition de 89, entendaient maintenir à la révolution de 1848 un caractère exclusivement politique ; de l’autre se groupaient les apôtres ambitieux d’une loi nouvelle édictée par eux-mêmes, qui, afin de remuer la société dans ses dernières profondeurs, se préparaient à faire table rase de toutes les garanties à l’abri desquelles se développent l’esprit et la conscience des hommes. Donner à la liberté civile, politique et religieuse une large extension, en découvrir des applications plus hardies et plus fécondes que n’avait pu le faire la