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pourvu de l’éclat et de l’empire qui n’appartiennent qu’aux grandes natures, mais judicieux, adroit, prudent, patient, et mêlant au soin continu de sa propre fortune un honnête souci des intérêts de son maître et de son pays. Parvenu au pouvoir par la chute violente du maréchal d’Ancre et l’éloignement de Marie de Médicis, le favori du jeune roi était naturellement porté vers une politique contraire à celle de la reine-mère et de son favori. Son bon sens le conduisit dans la même route où le poussait sa situation ; il reprit peu à peu et sans bruit les vues et les conseillers de Henri IV, soutenant au dehors les protestans contre la maison d’Autriche en même temps qu’il les réprimait au dedans sans attenter à leur liberté religieuse, plus soigneux de l’amitié anglaise que de l’espagnole, cherchant en un mot les garanties de la sûreté et de la grandeur de la France dans l’indépendance des états et dans l’équilibre européen, et rentrant ainsi modestement dans les voies que Henri IV avait ouvertes et où le cardinal de Richelieu devait triompher[1].

Il fit d’abord, pour préparer la négociation matrimoniale qu’il avait en vue, une tentative détournée. Au mois d’août 1620, il envoya en Angleterre, sous prétexte d’acheter des chevaux pour le prince de Condé, un sieur du Buisson, de Caen, « homme de nulle qualité et de fort peu d’esprit, dit le comte de Tillières, alors ambassadeur de France à Londres, mais qui avait acquis en France quelque considération pour s’être introduit, par le moyen de M. de Luynes, dans les petits plaisirs du roi. » Le prince de Condé entra vivement dans ce dessein. Luynes, vers la fin de l’année précédente, l’avait fait sortir du château de Vincennes, où Marie de Médicis l’avait jeté, et il avait reçu de lui, pour prix de sa liberté, les plus fortes promesses d’amitié et d’appui. Condé d’ailleurs, tout en travaillant, dès qu’il fut libre, à se dégager de ses amis protestans, était bien aise de leur donner encore des marques indirectes de bon vouloir, et il se montrait, dans cette vue, partisan décidé de l’alliance anglaise. Il recommanda lui-même M. du Buisson au comte de Tillières, mais en parlant uniquement des chevaux qu’il désirait, et sans rien dire du but politique de la mission. Le secrétaire d’état, M. de Puisieux, en fit autant de la part du roi, en gardant le même silence. Du Buisson arriva donc à Londres, puissamment recommandé et de très haut, sans qu’on sût pourquoi ; mais le comte de

  1. Dans une série d’articles qu’a publiés le Journal des Savans (voyez les numéros de mai, juin, juillet, septembre, octobre, novembre 1861, et de mai, juin et août 1862), M. Cousin a retracé la vie et la politique du connétable de Luynes, recueillant et rapprochant des faits jusque-là épars et mal observés, les éclairant par des documens nouveaux, et démêlant avec la plus ferme et fine sagacité la tendance des intentions, l’effet des actes, le sens des événemens, le jeu caché des intrigues de parti et de cœur. Il a ainsi rendu, à ce favori plus sérieux qu’il n’en avait l’air, la place qui lui appartient dans l’histoire de son temps.