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une distance convenable de lui, à sa gauche, et l’ordinaire au bout de la table, le prince de Galles n’étant pas là. Les Français de haute qualité furent conduits par le duc de Lennox, et les autres par moi-même, à la salle de la cour des requêtes; la plupart prirent leurs places à table pêle-mêle, et le duc les quitta (un peu brusquement peut-être), avant même d’avoir vu les cinq ou six principaux assis au haut bout; sur quoi ils commencèrent à murmurer entre eux, se plaignant d’être ainsi négligés et laissés seuls, sans quelques personnes de qualité pour les accompagner et les inviter à s’asseoir. Je m’en aperçus et tâchais de leur persuader de se mettre à dîner, lorsque mylord le chancelier Bacon, le lord trésorier Montagne et le lord garde du sceau privé, le comte de Worcester, entrèrent dans la salle et allèrent prendre leurs places au côté droit de la table, sans donner aux Français aucune autre marque d’égards que d’ôter leur chapeau et sans les inviter à s’asseoir avec eux. Sur quoi les Français prirent leurs manteaux, et en témoignant leur mécontentement sortirent de la salle et allèrent rejoindre leurs voitures. Nous les suivîmes, moi et deux gentilshommes écossais, et nous fîmes de notre mieux pour les engager à revenir; mais, n’y réussissant pas, nous les laissâmes aller. Une demi-heure après, et conformément à une invitation que je lui avais remise la veille, je me rendis chez l’ambassadeur ordinaire de France, pour conduire sa femme à un bal que le roi donnait ce soir-là à Whitehall. Pressée, avec une impatience féminine, de se rendre à cette fête, elle était déjà partie, et je trouvai chez elle, à table et dînant, les gentilshommes que je venais de voir partir de Westminster. Ils avaient donné pour excuse de leur départ qu’ils avaient déjà dîné. Je leur dis en riant que j’étais fâché de leur voir manger deux dîners en un jour, et pas un dans le palais du roi. — Nous prenons soin, me dit l’un d’entre eux, de l’honneur du roi notre maître et de notre propre dignité; nous vous en faisons juge vous-même : quand le duc de Lennox nous a laissés seuls, sans personne pour nous accompagner au moment de nous mettre à table, et quand trois messieurs de robe longue (ils désignaient ainsi, avec un air de mépris, les trois grands officiers qui étaient venus en robe) sont entrés et se sont assis au haut de la table, sans daigner seulement nous saluer, n’avons-nous pas eu raison de quitter, comme nous l’avons fait, la compagnie? — Je me bornai à leur dire que je n’étais ni juge ni homme de robe longue, et que ceux qu’ils désignaient ainsi n’étaient pas d’un rang inférieur aux plus grands seigneurs du royaume. »

L’ambassade n’était pas plus populaire dans la nation anglaise qu’à la cour : elle venait demander au roi Jacques de ne prêter aux protestans de France aucun appui, et elle trouvait à Londres des envoyés du parti protestant qui réclamaient assistance pour le soutien