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bataille dura près d’un mois. Toute une page d’annonces dans les journaux était consacrée à cette guerre, où les partis ne se bornaient pas à prôner leurs candidats, mais vilipendaient en même temps de leur mieux ceux de leurs adversaires. Certes l’étranger qui eût voulu se faire, d’après ces réclames, une idée des hommes politiques de New-York aurait pu se croire dans un étrange milieu. D’après Gunther, l’administration de Wood n’avait été qu’un pillage organisé. D’après Wood, Opdyke ne demandait qu’à mettre la torche incendiaire aux mains des nègres. Le passé de chacun était travesti pour les besoins de la cause, et, la plupart des fonctions municipales étant électives, les mêmes procédés étaient employés jusqu’au bas de l’échelle par les allâmes plus modestes qui n’ambitionnaient que les gloires du bâton de constable. Non-seulement les journaux, mais les murs, étaient couverts d’affiches gigantesques ; c’était une lutte au mètre carré. Les principales agences électorales se reconnaissaient à d’immenses bannières emblématiques tendues d’un côté de la rue à l’autre. À mesure que le dernier jour approchait, chaque parti multipliait ses processions, annoncées par la voie des journaux, et dont le programme variait peu : une douzaine d’instrumens discords se fondant à distance en un solo continu de grosse caisse, des voitures chargées d’enthousiastes enrubannés, puis ensuite tous les partisans que l’on avait pu racoler. Ces promenades ont un inexprimable attrait pour les Américains. Tout y fournit matière, un enterrement aussi bien qu’une élection, une commémoration quelconque, ou même tout simplement un dîner. On n’y chante pas, on y cause peu, mais on y observe le pas. Malheureusement, s’il s’agit d’élections, les promeneurs ne sont pas tous également désintéressés ; beaucoup sont enrôlés à beaux deniers comptans, et ces comparses, ces torches, ces musiques, ces voitures, ne sont qu’une minime partie des frais de l’élection. Il faudra ensuite acheter les votes, grosse dépense dans un pays à suffrage universel. Pour y faire face, chaque membre du parti est mis à contribution. S’il est fonctionnaire nommé par le peuple, et c’est le cas le plus général, tant pour cent est prélevé sur son salaire à partir du jour de son entrée en fonction ; l’abandon du salaire sera même parfois absolu, si la place comporte un casuel plus ou moins licite. On se fait gloire de l’importance des sommes ainsi écoulées. « Vous savez, disait la proclamation des partisans de Gunther, que, malgré tous nos efforts et une libéralité sans limites, nous n’avons obtenu que le troisième rang dans la dernière lutte. »

Enfin le grand jour arriva, ou plutôt le soir du grand jour, car le récolement du scrutin ne commence que tard dans la journée. Déjà l’après-midi n’avait pas été sans intérêt. Dans chaque poll, baraque