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Depuis le vote du 10 décembre, la constituante n’eut plus qu’une vie artificielle. Représentant une expérience honorable assurément, mais à laquelle le peuple venait de refuser avec éclat son concours, cette assemblée survivait à l’idée dont elle avait été l’expression, et le pays ne s’inquiétait pas plus de l’impuissance de ses menaces que des derniers spasmes de son désespoir. Cette lutte contre le courant désormais irrésistible de l’opinion publique avait placé la représentation nationale dans une position à laquelle durent fatalement mettre un terme les hommes mêmes pour qui le jour de la dissolution allait être le signal d’une chute et d’un oubli profonds. Jamais le sentiment public n’obtint une victoire plus triomphale. L’on vit en effet une assemblée souveraine, à laquelle le texte de la loi fondamentale attribuait le droit de voter encore dix lois organiques, conduite par l’irrésistible pression du dehors à déposer son mandat. La fameuse proposition Râteau, modifiée par M. Lanjuinais, s’imposa comme d’elle-même aux plus récalcitrans et aux plus obstinés des législateurs. Le 28 mai 1849, la constituante étouffée expira comme par une sorte de raréfaction de l’air républicain.

Les conjonctures du sein desquelles elle était sortie avaient imposé à cette chambre le double devoir de raffermir l’ordre social en France et d’y organiser la république. La première partie de cette tâche fut accomplie avec un courage parfois héroïque, et si l’assemblée échoua dans la seconde, c’est que le vote du pays vint paralyser son œuvre constitutionnelle à peine éclose. A l’élection du 10 décembre s’arrête la loyale épreuve accordée au gouvernement républicain par les opinions monarchiques. D’une part en effet, celles-ci eurent le droit de se considérer comme confirmées dans leur foi politique par la révélation si éclatante des répugnances nationales; de l’autre, elles se trouvèrent placées vis-à-vis du chef de l’état dans l’attitude de suspicion et de réserve que provoquaient les espérances confessées par les amis du président, lors même qu’elles étaient le plus hautement désavouées par celui-ci. Chacun revint donc par la force même des choses aux perspectives qu’on avait d’abord loyalement écartées. Au lieu de deux partis monarchiques, le pays en posséda trois, tous contraints de dissimuler leur pensée véritable en manœuvrant sur le terrain de la constitution du 12 novembre, et tous préoccupés de se réserver les chances de l’avenir lorsqu’ils étaient pourtant chaque jour conduits à s’entendre en présence des périls communs.

Tandis que les opinions royalistes prenaient dans la nouvelle assemblée une importance proportionnée à celle qu’elles avaient dans la nation, la minorité républicaine s’efforçait de retrouver, en s’adressant aux cupidités instinctives, une partie de la force perdue par la pensée politique qui avait prévalu durant la législature pré-