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l’audace ses tentations, une seule alternative se fut manifestement ouverte devant elle : ou revenir sans arrière-pensée à la république en s’efforçant de triompher et de ses propres répugnances et de celles du pays, de manière à pouvoir invoquer la constitution sans provoquer le rire des augures, ou confondre les deux symboles monarchiques dans l’unité d’une vaste synthèse, en mesurant la grandeur des sacrifices à celle des périls. Quelque difficulté qui se rencontrât dans la fusion d’intérêts si longtemps hostiles, le succès d’une pareille tentative n’aurait pas été impossible, si l’on avait pu en espérer un effet immédiat, si surtout elle avait précédé la défaite au lieu de la suivre, et qu’elle fût sortie en quelque sorte spontanément du fond de la situation même.

Ne se sentait-on ni assez de vigueur dans la pensée, ni assez de dévouement dans l’âme pour aller jusqu’aux résolutions suprêmes et pour les imposer à tous, il fallait alors se faire une ambition conforme à sa fortune et détourner une lutte qu’il était téméraire de provoquer, puisque la majorité, dénuée de toute puissance administrative et militaire, était hors d’état de la soutenir. Sans manquer à aucun devoir, l’on pouvait, à quelque camp qu’on appartînt, s’entendre pour prolonger le provisoire et pour rendre la situation supportable à tout le monde, en dénouant les difficultés au lieu de les rendre inextricables. L’intérêt vrai de la majorité aurait été certainement de rassurer le plus vite et le plus complètement possible sur son avenir le chef de l’état, en lui ménageant, par une révision évidemment nécessaire de la constitution, la facilité d’une réélection régulière, et en ouvrant des perspectives constitutionnellement limitées devant un pouvoir auquel le scrutin du 10 décembre 1848 laissait trop pressentir celui du 20 décembre 1851. Si la politique est la science des choses possibles, et si son premier précepte est de mesurer les forces aux obstacles, cette marche-là paraissait commandée par la plus vulgaire prudence en présence d’un désaccord qui rendait toutes les solutions chimériques, et d’un adversaire fort décide à ne pas quitter la place avant d’avoir encore une fois interrogé le peuple dont il était la créature.

Irriter un ennemi sans l’affaiblir, le menacer sans l’atteindre, a été dans tous les temps un fort dangereux procédé. La législative y recourut cependant, non sous le coup de passions dont son honnêteté aurait certainement triomphé, mais parce que l’absence de toute direction la rendit incapable d’arrêter aucun plan de conduite, et d’opposer aucune barrière à la force secrète qui minait le sol sous ses pas. Les deux pouvoirs entre lesquels deux théories politiques incompatibles finirent par provoquer un divorce si funeste à la liberté avaient commencé leur carrière avec des intentions toutes