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tauration monarchique, et donner à la majorité conservatrice un concours qu’il savait ne pas devoir profiter à lui-même n’allait pas mieux à ses intérêts qu’à ses haines. Quel accord, même temporaire, était d’ailleurs possible avec l’opinion républicaine depuis que les chefs de la majorité avaient donné pour mot d’ordre à celle-ci le maintien de la loi électorale du 31 mai? Si le parti conservateur s’était reconnu assez fort pour modifier efficacement le suffrage universel en substituant par exemple les deux degrés à l’élection directe, la portée d’un tel service rendu à la société aurait pu expliquer qu’il liât son sort au succès d’une pareille tentative; mais courir des périls assurés pour des résultats incertains, préparer à un habile adversaire le terrain le plus favorable pour livrer bataille en jouant une partie dont on n’a pas même calculé les chances, c’était une conduite qui témoignait certainement de l’altération du sens politique au sein d’une assemblée dont la pénétration semblait se retirer avec la force.

Si l’auteur des Discours sur Tite-Live vivait de nos jours, il consacrerait l’un de ses plus beaux chapitres à honorer l’usage que le président de la république sut faire de l’arme terrible si opportunément placée entre ses mains. Le message par lequel, à la veille du coup d’état, le prince Louis-Napoléon notifiait à la législature sa résolution de lui proposer la révocation immédiate de la loi du 31 mai et le rétablissement du suffrage universel dans son intégrité lui paraîtrait probablement un chef-d’œuvre d’habileté[1]. Je n’aurais garde de contredire un pareil maître : ce serait au secrétaire d’état florentin qu’il appartiendrait également d’écrire l’histoire du

  1. « Les résolutions qui décideront de notre sort ne peuvent émaner que d’un acte décisif de la souveraineté nationale, puisqu’elles ont toutes pour base l’élection populaire. Eh bien! je me suis demandé s’il fallait, en présence du délire des passions, de la confusion des doctrines, de la division des partis, alors que tout se ligue pour enlever à la morale, à la justice, à l’autorité leur dernier prestige, s’il fallait, dis-je, laisser ébranlé, incomplet, le seul principe qu’au milieu du chaos général la Providence ait maintenu debout pour nous rallier.
    « Quand le suffrage universel a relevé l’édifice social par cela même qu’il substituait un droit à un fait révolutionnaire, est-il sage d’en restreindre plus longtemps la base? Enfin je me suis demandé si, lorsque des pouvoirs nouveaux viendront présider aux destinées du pays, ce n’était pas d’avance compromettre leur stabilité que de laisser un prétexte de discuter leur origine et de méconnaître leur légitimité. Le doute n’était pas possible, et, sans vouloir m’écarter un seul instant de la politique d’ordre que j’ai toujours suivie, je me suis vu obligé, bien à regret, de me séparer d’un ministère qui avait toute ma confiance et mon estime, pour en choisir un autre, composé également d’hommes honorables, connus par leurs sentimens conservateurs, mais qui voulussent admettre la nécessité de rétablir le suffrage universel sur la base la plus large possible. Il vous sera donc présenté un projet de loi qui restitue au principe toute sa plénitude, en conservant de la loi du 31 mai ce qui dégage le suffrage universel d’élémens impurs, et en rend l’application plus morale et plus régulière. » — Message du président de la république à l’assemblée législative (4 novembre 1851).