Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/682

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trois bons chevaux qui courent sur la glace, est conduit par un brave cocher au nez rouge de froid et à la barbe grisonnante. Dans l’intérieur est un jeune couple ; le fiancé passe le bras autour du cou et des épaules de la fiancée. On devine à son regard, et aussi à l’expression timide, mais amoureuse, de la jeune fille, que le cœur du moins n’a point froid, et qu’il y a du feu sous toute cette neige. Là est le charme du tableau ; ce chaste amour répand un sourire sur la nature glacée. Au fond, bien loin, se dessinent un clocher d’église et quelques chaumières à demi enfouies sous les frimas : c’est le village. — Le même peintre a traité un autre épisode d’hiver dans ses Voyageurs perdus. Une charrette (kibitka) au toit voûté recouvert de toile est arrêtée au milieu des steppes de neige qui se déroulent avec la tristesse sauvage de l’infini. Le conducteur, couvert d’une pelisse à collet de fourrure, cause avec une jeune fille debout sur la route, et lui demande sans doute des renseignemens pour retrouver son chemin, tandis qu’un voyageur abrité dans le fond de la voiture regarde avec inquiétude l’embarras du cocher aveuglé par les neiges. Au collier des chevaux pendent deux sonnettes dont on se figure aisément le bruit monotone et mélancolique dans le silence de ces mornes solitudes.

Comme l’immense empire russe s’étend sous différens climats, on doit s’attendre à des contrastes. Un de ces contrastes est le Repos au milieu de la fenaison, par M. Alexandre Morozof. Ici le ciel est chaud, la lumière abondante et joyeuse. Un groupe de paysans et de paysannes russes, dont l’une allaite un enfant, sont assis sur l’herbe nouvellement fauchée, tandis qu’une pauvre vieille femme apporte la soupe dans une terrine. Cet empire, qui touche à tant de pays, touche aussi à la mer, et M. Aïvazofsky a peint avec talent le désordre d’un troupeau de moutons saisis, au milieu des sables, par une tempête. Le berger et le chien luttent pour retenir les moutons, qui semblent comme étourdis par le ciel noir et par le tourbillon qui les entraîne vers les eaux courroucées. J’aime encore mieux, du même artiste, ses Rouliers de la Nouvelle-Russie, avec leur convoi interminable de chariots s’avançant, au milieu des brouillards d’un soleil couchant, sur une route qui serpente à travers des steppes inexorablement plats, recouverts d’une herbe courte, et qui donnent bien une idée de l’uniformité du désert. La vie militaire devait trouver un interprète dans un pays qui se montre surtout préoccupé d’étendre encore ses limites. La Marche d’un train de grosse artillerie dans le Daghestan est évidemment peinte d’après des souvenirs personnels : aux embarras de la colonne russe déjà si pesamment chargée, mais qui s’avance en bon ordre et musique en tête, s’ajoute une sorte de lutte corps à corps avec les animaux qui portent les