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NUITS D’ORIENT
POEMES ET SOUVENIRS.


LE VOYAGE.


Il faut rester aux lieux que notre cœur habite;
Mais un jour l’inconnu nous tente et nous invite,
Et la terre natale est comme une prison,
D’où nous jetons les yeux par-dessus l’horizon,
Pour envier le sort nomade des nuages
Que le vent orageux pousse aux lointains rivages.
On part, le front moitié triste, moitié riant.
Vers les pays dorés de l’antique Orient;
Là, des nuits de l’Asie on soulève les voiles,
Sans deviner jamais le secret des étoiles.

Le souvenir puissant, qui rend la vie aux morts,
Reporte quelquefois mon âme à d’autres bords;
Tout me charme de loin, comme dans un mirage,
Les bonheurs, les périls, les hasards du voyage,
Et ces chères douleurs que l’on traîne après soi.
Lorsqu’on te quitte, ô France, et que l’on pense à toi!
Je revois les flots bleus de la mer, l’Italie,
Qui relève l’orgueil de sa tête pâlie,
L’Archipel enchante, le Bosphore et Stamboul,
Où, sous les cyprès noirs, se lamente boulboul,
Le Caucase neigeux, la verte Géorgie,
Dont mon cœur a gardé la tendre nostalgie.
Par ces champs étrangers qui m’ont coûté des pleurs
J’ai glané les épis et j’ai cueilli les fleurs.
Et dans mon souvenir, comme dans un beau vase,
J’ai posé ce bouquet des jardins du Caucase,
Bouquet double où li rose est mêlée au souci...
Tour à tour joie et deuil ! — Et la vie est ainsi !