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Moi. je te racontais sans aucun ornement
Le Trilby de Nodier, la Belle au bois dormant,
Que de gazouillemens de fauvette échappée,
Lorsque sur tes bras ronds tu berçais ta poupée !
Ta voix était un chant, ton œil étincelait;
Comme une abeille d’or, ton rire s’envolait.

Toi que j’ai vue enfant, que j’aimais tant, que j’aime,
Front pensif incliné sous la main du devoir,
Chère moitié de moi meilleure que moi-même,
Où donc es-tu? Mon âme invisible, le soir,
Vient voltiger autour de vous comme une abeille.
On vous croirait groupés par un peintre flamand.
Calme tableau ! La lampe argenté vaguement
Le dos du grand fauteuil où la mère sommeille,
Au coin du feu, les pieds posés sur un coussin.
Souriant à demi, front mûr, cœur jeune encore,
Et portant bravement son âge qu’elle honore.
Toi, tu fermes ton livre et laisses en chemin
Les vers interrompus, la page commencée,
Où par hasard tomba la fleur de ta pensée,
Et tu rêves. De quoi rêves-tu? Ton regard
Cherche-t-il un absent regretté, moi sans doute?
Le voyageur est là, qui vous voit, vous écoute,
Qui revient au foyer pour y prendre sa part.
L’autre sœur, adoptée au banquet de famille.
Sur une broderie amuse son aiguille.
Pendant que son mari, notre frère, à mi-voix
Vous raconte gaîment un conte d’autrefois.
Il est près de minuit. La mère réveillée
Sur ses trois beaux enfans jette un regard d’amour.
Et, comme la maison se lève au petit jour,
Qu’il est tard, que le feu s’est éteint, la veillée
Est finie. On s’embrasse, on se dit : « A demain ! »
Moi, je n’ai pas d’ami qui me serre la main,
Et de chers souvenirs pleurent dans ma mémoire...
Il neige, et l’aquilon souffle de la Mer-Noire.


III. — A LA GÉORGIE.


O pays de beauté, terre de Géorgie,
Que le sang de tes fils a tant de fois rougie.
Terre de souvenirs, d’amour et de douleur,
Où verdit le jardin des légendes en fleur,