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grain de vanité, lorsque, après avoir supprimé les droits de douane de Tamatave, il demande naïvement si tous les commerçans de La Réunion et de Maurice, frappés de cet acte de libéralité, ne vont pas abandonner leurs îles pour venir à Madagascar. Presque toute la classe élevée raisonne de la même manière ; l’ignorance et l’isolement grossissent à leurs yeux leurs moindres actes et amoindrissent ceux qui se passent à distance. Ils sont encore au nombre de ceux qui, en portant le costume des Européens, en imitant leurs gestes et leur tournure, croient avoir acquis la civilisation ; mais il y a en eux l’intelligence, la curiosité de l’inconnu et ce goût pour l’imitation, qui peuvent les amener à une prompte transformation, s’ils ont de bons exemples sous les yeux... » Ainsi, d’après M. de Corbigny, le peuple hova pourrait s’améliorer, se policer sous l’influence d’un bon gouvernement; dans son état actuel, il ne lui est apparu que sous des traits fort peu séduisans, et il aurait besoin d’une transformation à peu près complète. Le roi Radama II sera-t-il de force à opérer cette transformation?

Tous les témoignages sont en faveur des excellentes intentions de ce prince, et les premiers actes de son règne attestent qu’il veut rompre avec les traditions sanguinaires du règne précédent; mais quand il s’agit de régénérer un peuple, la bonté ne suffit pas : le patriotisme et l’intelligence sont plus nécessaires encore chez le souverain qui aspire à un pareil rôle. Or Mme Pfeiffer nous fait connaître qu’à l’époque de son voyage le roi actuel, alors prince royal, indigné des cruautés de sa mère Ranavalo, se déclarait prêt à renoncer à ses droits à la couronne et à accepter la domination étrangère, pourvu que son pays fût bien gouverné. Ces sentimens, très philanthropiques peut-être, n’indiquaient pas une grande force de caractère ni un profond patriotisme, et il est douteux que les tribus de Madagascar partagent cette singulière indifférence en matière de nationalité. Plus tard, si Radama II, en succédant à sa mère, abolit immédiatement quelques pratiques sauvages et cruelles, on le vit supprimer en même temps des travaux utiles qui honoraient le règne de Ranavalo. Cette femme impitoyable, qui sut pendant plus de trente ans maintenir l’île entière sous son despotisme, avait quelquefois l’instinct de la grandeur. Tout en repoussant les étrangers, elle avait fondé, sous la direction d’un Français très intelligent, M. Laborde, une sorte de village industriel, où s’élevaient des hauts-fourneaux, une magnanerie, une verrerie, une fonderie de canons. Ces usines appartenaient à l’état. La reine s’y intéressait, elle venait souvent les visiter, et les personnages de la cour possédaient aux environs des habitations de plaisance. M. de Corbigny nous apprend que «le nouveau roi, pour rendre à son armée la faculté de se livrer à l’agriculture, a fait abandonner ces utiles établissemens en même temps que la fonderie de canons, dont ses sentimens pacifiques ne lui ont jamais fait comprendre l’utilité. Le village commence à tomber en ruine, et n’est plus habité que par une population insignifiante.» À ce seul trait, on peut juger que Radama II n’est point le prince appelé à civiliser Madagascar, et il est permis de craindre que l’œuvre de conquête et d’unité accomplie par Radama Ier et conservée par Ranavalo ne périclite entre ses débiles mains.

Est-ce donc à l’Europe de tenter directement l’aventure, et convient-il à la France de ressusciter les droits que d’anciens traités lui confèrent sur