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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/755

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dant vingt jours que l’on choisit, il est entré dans le musée 36,261 visiteurs. Je ne demande pas si les dix jours qu’on élimine, sans en dire la raison, auraient fait baisser la moyenne, je demande encore moins pourquoi ce tableau de chiffres s’arrête au 6 juin sans remonter plus haut. Il me suffit de dire ce que j’ai vu, ce que j’ai constaté de mes yeux sans le secours des officiers de paix. J’ai pour le moins fait dix séances au musée Napoléon III depuis le jour d’ouverture jusqu’au 5 juillet. Dans les premières, je circulais à peine, un mois après j’étais à l’aise; puis, dans les derniers temps, j’étais en solitude. Le 3 et le 4 juillet, notamment, j’y suis resté deux ou trois heures de suite, et j’ai parfaitement constaté que, dans les salles où j’étais, le nombre des visiteurs n’égalait pas celui des gardiens. Et en effet M. Desjardins oublie que les visiteurs se succèdent, qu’à l’exception de quelques travailleurs, le plus grand nombre, les étrangers surtout, passent d’un pas rapide, et qu’en moyenne chaque visite n’est guère que d’une heure tout au plus. Il faut donc diviser le chiffre des visiteurs par le nombre des heures où le musée reste ouvert, ce qui, à l’exception des dimanches, ne donne guère pour chacune de ces vingt journées qu’une centaine de spectateurs à la fois. Or qu’est-ce que cent personnes dans cette immensité? Encore un coup, c’est le désert.

Je tenais à justifier mon dire, d’autant plus que M. Desjardins ne peut pas croire qu’à moi tout seul j’ai découvert ce fait, que je déplore bien loin d’en triompher, cette croissante indifférence du public. C’est là, me dit-il, le captieux argument dont le musée du Louvre s’est servi pour « tromper l’empereur, » c’est du Louvre qu’il vous est venu. — Vous comprenez quelle fortune, si l’on pouvait établir que le Louvre est en intelligence avec les vieux partis! Or le hasard aurait pu faire qu’avant de quitter Paris, il y a bientôt trois mois, j’eusse rencontré un des conservateurs du Louvre, mon confrère par exemple, M. de Longperrier, et que la conversation fût tombée sur la collection Campana; mais ce même hasard a voulu que je n’aie pas échangé une seule parole, que je n’aie pas demandé un seul renseignement à qui que ce soit touchant ou de loin ou de près à la direction des musées, et que mon travail solitaire ait été aussi étranger, aussi imprévu à MM. les conservateurs du Louvre qu’à M. Desjardins lui-même. N’insistons pas sur ce détail, qui après tout n’a pas grand intérêt.

Reste le fond de la question, l’unité, c’est-à-dire l’isolement, l’indépendance, le gouvernement séparé du musée Napoléon III. M. Desjardins me concède que tout n’est pas parfait, que tout n’est pas à conserver dans la collection. Que n’avait-il cette franchise ou cette clairvoyance en rédigeant sa notice! «Il faut reconnaître, dit-il, qu’il y a grand nombre d’œuvres médiocres, et nous ne songeons ni à tout admirer ni à vouloir que, dans la série des sculptures par exemple, on conserve tout. » L’épuration est donc admise; je ne suis donc pas si coupable de l’avoir demandée! Reste à savoir comment elle sera faite. Si c’est avec le dessein de maintenir un musée séparé, on ne supprimera que le mauvais, on gardera le médiocre. Voilà pourquoi, dans l’intérêt de l’art, de la science, de notre gloire nationale, je me permets d’avoir à cœur qu’au lieu de doter Paris de deux musées incomplets qui se jalouseront sans se porter secours, on en fasse un de premier ordre; qu’on transporte franchement au Louvre, où l’espace ne doit