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de ce côté n’était pas une feinte destinée à y attirer les troupes fédérales, pendant que le gros des forces ennemies s’apprêtait à déboucher sur la rive gauche. On avait été promptement tiré d’incertitude par la violence de l’attaque et par les rapports des aéronautes, qui voyaient toute l’armée confédérée se diriger sur le lieu du combat. On avait alors donné à Sumner l’ordre de passer l’eau avec ses deux divisions. Il l’avait exécuté avec rapidité, marchant à l’aventure avec la tête de sa colonne, sans autre guide que le bruit du canon, et il arriva juste à l’heure et à l’endroit critiques. Or quelques personnes pensaient alors et pensent encore aujourd’hui que si, au moment où Sumner recevait l’ordre de franchir la rivière, le même ordre eût été donné à toutes les divisions de l’aile droite, il eût été exécutable. On devine ce qui serait advenu, si, au lieu de jeter 15,000 hommes sur le flanc de Jonhston, on en eût jeté 50,000. Le pont de Sumner n’eût pas suffi sans doute au passage de tant de monde. À minuit, la queue de sa colonne y était encore engagée, luttant contre toutes les difficultés que présentent à des chevaux et à de l’artillerie des ponts formés de troncs d’arbres qui tournent sous les pieds, des marais vaseux et une nuit obscure, rendue plus profonde encore par l’épaisseur des bois. Plusieurs ponts cependant étaient près d’être jetés sur d’autres points. Il fallait travailler sans perdre une minute à les établir, et ne pas s’inquiéter des obstacles que l’ennemi n’eût pas manqué d’apporter à cette entreprise. Il avait promené une brigade d’une manière ostensible et en guise d’épouvantail en face des points naturellement indiqués pour le passage ; mais l’enjeu était si gros, le résultat à poursuivre si important, l’occasion se présentait si imprévue et si favorable de jouer une partie décisive, que rien, selon nous, n’eût dû empêcher de tenter à tout prix cette opération. Ici encore on porta la peine de cette lenteur américaine, qui appartenait bien plus au caractère de l’armée qu’à celui de son chef. Ce ne fut qu’à sept heures du soir qu’on prit le parti d’établir sans délai tous les ponts et de faire passer toute l’armée au point du jour sur la rive droite du Chikahommy. Il était trop tard. Quatre heures avaient été perdues, et l’occasion, cet instant si fugitif, à la guerre plus que partout ailleurs, s’était envolée. La crue sur laquelle Johnston avait en vain compté, et qui n’avait pas empêché Sumner de passer, survint pendant la nuit. La rivière s’éleva subitement de deux pieds et continua de grossir avec rapidité, emportant les nouveaux ponts, soulevant et entraînant les arbres qui formaient le tablier de celui de Sumner, et couvrant toute la vallée de ses eaux débordées. Rien ne passa.

Aux premières lueurs du jour, le combat reprit avec acharnement sur la rive gauche. L’ennemi venait en masse, mais sans ordre ni