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assez et qui ne croient plus au succès. En vain les généraux, les officiers de l’état-major-général, le comte de Paris, le duc de Chartres se jettent-ils dans la mêlée le sabre à la main pour arrêter ce mouvement désordonné, la bataille de Gaine’s-Hill est perdue. Il ne s’agit plus que d’empêcher un désastre. L’ennemi en effet s’avance toujours en plaine, toujours dans le même ordre, son infanterie déployée par régimens en échelons, et à chaque minute serrant de plus près la masse confuse des troupes fédérales. La fusillade et la canonnade sont telles que la grêle de projectiles qui frappe le sol y soulève une poussière permanente. On commande alors à la cavalerie de charger. Je me trouvais par hasard auprès d’elle en ce moment. Je lui vois mettre le sabre à la main avec cet élan électrique de gens résolus et dévoués. Comme elle s’ébranlait, je demandai à un jeune officier quel était le nom de son régiment. « C’est le 5e cavalerie, » me répondit-il en brandissant son sabre avec tout l’orgueil de l’esprit de corps. Infortuné jeune homme ! Je revis son régiment le lendemain. De la charge de la veille il n’était revenu que deux officiers : il n’en était pas ! Cette charge ne pouvait réussir contre les épais bataillons de l’infanterie ennemie, et les débris des régimens, galopant dans des nuages de poussière au milieu des canons et des fuyards de l’infanterie, ne firent qu’augmenter la confusion. Les chevaux d’artillerie sont tués, et je vois avec une triste émotion des pièces qu’on ne peut plus emmener et que les artilleurs servent avec un courage désespéré. Ils tombent les uns après les autres. Deux sont encore debout, et ils continuent à faire feu presque à bout portant. La brume du soir qui s’épaissit ne me permet plus alors de rien voir. Toutes ces pièces étaient perdues. Le général Butterfield avait fait inutilement des efforts surhumains pour les sauver. À pied, son cheval ayant été tué, un éclat d’obus dans son chapeau, une balle sur son sabre, entouré de ses aides-de-camp qui tombaient à ses côtés, il avait essayé de rallier de l’infanterie autour d’un drapeau planté en terre. Il avait réussi, mais ce n’avait été que pour quelques instans : le mouvement précipité de la retraite l’avait entraîné. Heureusement la nuit arrivait, et après avoir perdu un mille de terrain, on trouva les brigades fraîches de Meagher et de French formées en bon ordre. Elles poussèrent de vigoureux hourras, et quelques pièces mises de nouveau en batterie ouvrirent leur feu sur l’ennemi, qui s’arrêta devant cette suprême et énergique résistance.

Au moment où se tiraient les derniers coups de canon de cette bataille, une vive fusillade se faisait entendre près de Fair-Oaks, de l’autre côté de la rivière. C’étaient les confédérés qui attaquaient les ouvrages de l’armée fédérale ; mais cette attaque, qui n’était