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enfermer ses condamnés. Ceci est encore une explication légendaire que nulle preuve écrite ou visible ne vient confirmer. Dix-neuf chambres, séparées les unes des autres par des murailles épaisses de quatre pieds, se suivent et se commandent en ligne droite; elles reçoivent le jour par des regards creusés dans la voûte, dont les briques apparaissent là où le revêtement de stuc ne s’est pas conservé. Il est possible en effet que ce soient d’antiques latomies, ou les caves d’une construction supérieure actuellement disparue, ou simplement des habitations semi-troglodytiques, comme les pays de rochers en offrent tant d’exemples, et comme l’usage s’en est conservé même en France, dans certains cantons de Normandie et de Touraine. Plus près encore de Capri, à quelques pas de la ville, le long d’un chemin qui sert de promenade aux habitans, on distingue très nettement des restes d’arcades aujourd’hui détruites. Elles sont sur deux rangs séparés l’un de l’autre par une distance d’environ soixante pas, et sont précédées par une muraille construite de matériaux énormes, dits de grand appareil, comme si elle avait été destinée à supporter un monument colossal. Elles sont disposées symétriquement contre deux talus rocailleux qui décrivent un arc de cercle parallèle très étendu. Beaucoup de ces arcades, bloquées aujourd’hui par les clôtures des jardins, sont à moitié enfoncées sous terre. On dit qu’il y en a cent, et on les nomme les cento camerelle. Les gens du pays disent que ces « petites chambres » étaient les boutiques du forum de Caprée. Quelques savans prétendent que ce sont les substructions d’un double pœcile hémisphérique, dont les autres parties ont été renversées et dispersées par les tremblemens de terre, qui jadis étaient fréquens dans l’île. D’autres enfin, forçant à mon avis le sens de l’histoire, s’appuient sur le texte de Suétone : « des chambres à coucher (cubicula), diversement disposées, furent ornées de tableaux et de statuettes (sigilla) représentant des sujets obscènes, etc.[1], » pour trouver dans ces arcades, à peine indiquées par une saillie insignifiante, les restes des cabinets secrets où Tibère livrait sa vieillesse à toute sorte de débauches. A l’abondance des ruines qui couvrent l’île, et que l’on rencontre encore à chaque pas, on peut se figurer ce qu’elle était dans les temps antiques. Tous les terrains, envahis par les palais, les villas et les temples, devaient disparaître sous les constructions, et laisser à peine place à quelques jardins. On dit que le gouvernement italien a l’intention de faire exécuter des fouilles : il fera bien, au point de vue philanthropique, car c’est toujours une œuvre pie que de donner à travailler aux pauvres gens; mais au point de vue archéologique je doute fort qu’il obtienne une seule découverte impor-

  1. Suétone, ap. Tib., § 43.