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faite le premier, que nous commençons à soupçonner, où aboutit tout le travail, toute l’expérience du siècle, et qui sera peut-être la matière de la littérature prochaine : « tâche de te comprendre et de comprendre les choses. » Réponse étrange, qui ne semble guère neuve, et dont on ne connaîtra la portée que plus tard! Longtemps encore les hommes sentiront leurs sympathies frémir au bruit des sanglots de leurs grands poètes; longtemps ils s’indigneront contre une destinée qui ouvre à leurs aspirations la carrière de l’espace sans limites pour les briser à deux pas de l’entrée contre une misérable borne qu’ils ne voyaient pas; longtemps ils subiront comme des entraves les nécessités qu’ils devraient embrasser comme des lois. Notre génération, comme les précédentes, a été atteinte par la maladie du siècle, et ne s’en relèvera jamais qu’à demi. Nous parviendrons à la vérité, non au calme. Tout ce que nous pouvons guérir en ce moment, c’est notre intelligence. Nous n’avons point de prise sur nos sentimens; mais nous avons le droit de concevoir pour autrui les espérances que nous n’avons plus pour nous-mêmes, et de préparer à nos descendans un bonheur dont nous ne jouirons pas. Elevés dans un air plus sain, ils auront peut-être une âme plus saine. La réforme des idées finit par réformer le reste, et la lumière de l’esprit produit la sérénité du cœur. Jusqu’ici, dans nos jugemens sur l’homme, nous avons pris pour maîtres les révélateurs et les poètes, et comme eux nous avons reçu pour des vérités certaines les nobles songes de notre imagination et les suggestions impérieuses de notre cœur. Nous nous sommes fiés à la partialité des divinations religieuses et à l’inexactitude des divinations littéraires, et nous avons accommodé nos doctrines à nos instincts et à nos chagrins. La science approche enfin, et approche de l’homme; elle a dépassé le monde visible ou palpable des astres, des pierres, des plantes, où dédaigneusement on la confinait; c’est à l’âme qu’elle se prend, munie des instrumens exacts et perçans dont trois cents ans d’expérience ont prouvé et mesuré la justesse et la portée. La pensée et son développement, son rang, sa structure et ses attaches, ses profondes racines corporelles, sa végétation infinie à travers l’histoire, sa haute floraison au sommet des choses, voilà maintenant son objet, l’objet que depuis soixante ans elle entrevoit en Allemagne, et qui, sondé lentement, sûrement, par les mêmes méthodes que le monde physique, se transformera à nos yeux comme le monde physique s’est transformé. Il se transforme déjà, et nous avons laissé derrière nous le point de vue de Byron et de nos poètes. Non, l’homme n’est pas un avorton ou un monstre; non, l’affaire de la poésie n’est point de le révolter ou de le diffamer. Il est à sa place et achève une série. Regardons-le naître et grandir, et nous