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milieu de beaucoup de fables, Virgile, Properce, Ovide même, fournissent à M. Ampère, sur les lieux et les scènes de Rome primitive, plus de traits fidèles que l’archéologie très fantastique des anciens. C’est ainsi qu’une page des Martyrs a fait apparaître à Thierry l’ancienne France. Et grâce à ce don puissant de l’imagination, notre écrivain a reproduit dans ses pages un temps qui n’est plus, relevé les ruines sur ces cimes et dans ces vallées où il avait cru voir de ses yeux se ranimer des morts de plus de deux mille ans, avec leur physionomie, leur costume et leurs passions. C’est une évocation qu’une pareille histoire écrite sur le tombeau de ceux qu’elle rend à la vie.

Quiconque visitera Rome désormais devra le faire le livre de M. Ampère à la main. Il s’assurera le plus vif des plaisirs du voyageur, le plus vif, et non le plus commun, celui de comprendre ce qu’il voit, et alors il se formera une juste idée de la difficulté que son savant guide avait à vaincre. On ne doit pas en effet se figurer que l’ancienne Rome se reconnaisse aisément dans Rome contemporaine. Il faut se rappeler que c’est une des rares cités existantes qui aient été sans interruption, depuis les temps antiques, un des grands théâtres de l’histoire. Il pourrait bien y avoir vingt-cinq siècles que Rome importe au monde d’une manière continue. On peut juger combien de couches de monumens, et partant de ruines, tant de périodes d’événemens ont amoncelées sur ce sol incessamment foulé par des hommes en société. Écartez, chose qui n’est pas déjà facile, tout ce que les temps nouveaux, la renaissance, le moyen âge, ont accumulé de témoignages visibles de leur passage dans cette enceinte indestructible ; n’ayez, s’il est possible, des yeux que pour l’antiquité : que verrez-vous ? Des restes de la décadence de l’empire. Ce sont d’abord, et presque partout, les débris d’une époque sans gloire, sans grandeur et sans goût, qui, offusquant vos regards, vous masqueront je ne dis pas seulement les traces vénérées de la république, mais les vestiges de l’art élégant du temps d’Auguste. Que sera-ce donc, en franchissant en arrière ces deux époques, vous voulez percer jusqu’à celle qui les a précédées, et chercher la place où tomba la tête des fils de Brutus, où Lucrèce se poignarda, où Tullie fit passer son char sur le corps de son père, où s’accomplirent enfin tous les événemens à moitié fabuleux de la légende des temps monarchiques de Rome ! Sans remonter aussi haut, craignez toujours le penchant naturel à rayer de votre mémoire la Rome du bas-empire et à n’avoir en pensée que la Rome libre ou glorieuse. Qui ne sait l’histoire de cette colonne isolée qu’on voit au milieu du Forum, au milieu de la Voie-Sacrée ? C’est une colonne corinthienne en marbre blanc. Elle est svelte, correcte ; elle pouvait appartenir à