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Pour reconstituer un tableau de la vie primitive dont on avait sous les yeux de si abondans vestiges, il fallait avant tout rechercher quelle faune et quelle flore ces débris révélaient. Or, avec les huîtres et plusieurs espèces de coquillages servant encore aujourd’hui à la nourriture du peuple dans le Nord et en Angleterre même, les kioekken-moeddinger montrent les restes d’un grand nombre de poissons différens, entre autres du hareng, de la morue et de l’anguille. C’en est assez déjà pour démontrer que ces peuples connaissaient et pratiquaient la pêche, même en pleine mer, bien qu’ils n’eussent vraisemblablement pour embarcations que des troncs d’arbres creusés à l’aide du feu. Par des témoignages analogues, on est arrivé à se convaincre qu’ils avaient le coq de bruyère, et par conséquent sans doute des forêts de pins ; ils avaient le cygne sauvage, ce qui atteste leur présence constante pendant l’hiver, cet oiseau ne descendant en Danemark que pour cette saison ; d’autres symptômes attestent aussi la présence de ces peuples dans les mêmes lieux pendant le printemps et l’automne ; les preuves manquent encore pour l’été, mais cela semble suivre de soi-même, et il est donc permis de conclure qu’ils n’étaient pas à l’état de tribus nomades. Mais surtout M. Steenstrup a retrouvé dans les kioekken-moeddinger plusieurs espèces aujourd’hui perdues : par exemple l’alca impennis de Linné et le fameux bos urus, que César a décrit comme à peine inférieur à l’éléphant, et qu’il ne faut pas confondre avec le bison actuel de la Lithuanie.

Les recherches de M. Steenstrup sur l’alca impennis sont particulièrement curieuses. Ce volatile se rencontrait au moyen-âge dans les archipels voisins de Terre-Neuve et de l’Amérique du Nord, et dans celui des Féroë. Il était à lui seul la richesse des habitans de ces dernières îles, et cent traditions qui touchent au merveilleux constatent le regret de sa perte. Il était si gras que les insulaires se servaient de son estomac en guise de lampe : ils y introduisaient une mèche, qu’ils allumaient. Sur les côtes de Terre-Neuve, on le brûlait à défaut de bois, et l’on faisait cuire un individu au moyen de son semblable. Enfin les navigateurs comptaient sur l’abondance extrême de cette espèce pour refaire leurs provisions de bouche épuisées. La chasse a été pourtant depuis lors si persistante que l’alca impennis a complètement disparu. M. Steenstrup en a recueilli beaucoup d’os-semens épars dans les kioekken-moeddinger ; le musée zoologique de l’université de Copenhague en a aujourd’hui un squelette à peu près complet. — Les kioekken-moeddinger offrent encore des débris du cerf, du chevreuil, du sanglier, du castor, aujourd’hui entièrement disparu du Danemark, et du phoque, devenu rare. Le loup, le renard, le lynx, le chat sauvage et l’ours, quatre espèces qui ne se