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petites têtes étagées sur les gradins d’un amphithéâtre qu’éclaire une lumière verticale. La plus petite fille de la maison est au centre, debout sur une chaise, d’où elle dirige les applaudissemens et les mouvemens d’ensemble. Cette mise en scène est constante dans les écoles américaines, où, pendant les six heures qu’il y passe, l’élève ne marche, ne monte, ne descend, ne se meut qu’au pas, même pour se rendre à la récréation.

En voyant ces enfans parader avec tant de précision, je me rappelais les allures si différentes des magnifiques collèges de l’Angleterre, de celui d’Eton par exemple, où les élèves ignorent jusqu’aux premiers principes de l’alignement, où toute clôture est inconnue, où les vertes campagnes qui bordent la Tamise servent de lieu de récréation, et où cette liberté donne à l’adolescent un sens si réel de responsabilité et de respect de lui-même. Je me rappelais aussi les murs revêches de nos lycées, leurs cours claustrales et nues si semblables au préau ; d’une prison, notre fâcheuse tendance à exagérer le nombre des heures de travail, à bourrer l’esprit au détriment de l’éducation physique, et je me disais que notre université française, si contente d’elle-même, avait peut-être encore quelques progrès à faire. Quoi qu’il en soit, l’Anglais et l’Américain se sont évidemment proposé pour but commun de donner de bonne heure à l’enfant une notion d’indépendance qui pût influer sur le développement de son caractère, et ce but, tous deux l’ont atteint par des voies différentes. Peut-être l’Américain a-t-il poussé trop loin l’application de ses idées. Cet enseignement qui semble rappeler ce que l’histoire nous a conservé des excentricités de Lycurgue, cet enseignement si démocratique et si séduisant au premier abord est en réalité singulièrement arbitraire et despotique dans ses effets, et il l’est en pleine connaissance de cause. De là naissent bien des inconvéniens : d’abord chez les enfans l’oubli ou plutôt l’amoindrissement marqué du sentiment de la famille, puis, chez les parens trop d’insouciance du plus ou moins d’instruction acquise ; il semble que leur responsabilité cesse dès que celle de l’état commence, et qu’une éducation soit terminée dès qu’elle permet à l’élève de figurer derrière le pupitre d’un comptoir. Malgré ces taches, on ne doit pas hésiter à proclamer l’enseignement primaire et secondaire l’une des gloires des États-Unis : non que nous entendions par là en recommander l’application, ce sont de ces matières délicates sur lesquelles un peuple doit consulter avant tout les tendances qui lui sont propres ; mais ici, dans un pays où le rôle de l’autorité paraît être de s’effacer en toute chose, l’Américain a sacrifié ses principes généraux de conduite à ce qu’il croyait son devoir, et il l’a fait avec une incomparable libéralité. C’est ce qu’il importait de faire ressortir. Nous