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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/191

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propagandistes, de tempérance, ou abolitionistes. Les discours y sont naturellement longs et nombreux ; mais, quand l’américain a épousé une cause son dévouement ne se traduit pas en paroles seulement, et il serait bon que ceux qui l’accusent d’égoïsme pussent assister à New-York à cette semaine d’anniversaires. Ils y verraient, si l’on peut s’exprimer ainsi, la véritable, échelle de Jacob de la charité, depuis les vastes associations des écoles du dimanche, fréquentées par 70,000 adultes et 20,000 enfans, jusqu’à l’humble mission Howard, Home for little wanderers, qui, avec un modeste budget de 45,000 francs, trouve moyen d’élever chaque année 200 enfans abandonnés qu’elle va recueillir dans la rue. Tout cet admirable côté de la société des États-Unis échappe souvent au voyageur, qui se laisse ainsi aller à ne voir que les travers des mœurs qu’il a sous les yeux. Si sensible que soit ce peuple à la louange de l’étranger, jamais il ne fait parade de sa charité, et ce n’est que par soi-même que l’on arrive à en connaître peu à peu toute l’étendue. En un mot, je crois l’Américain le chrétien le plus sincère, le plus simple et le plus pratique du monde. C’est là une réponse suffisante à bien des attaques.

En insistant sur les merveilles de la charité à New-York, nous n’avons pas voulu dire que les magistrats de la cité se montrassent indifférens aux misères qui les entourent ; mais leur rôle a été simplifié par l’extension de la charité privée. Les établissemens de bienfaisance qui dépendent de la ville sont situés pour la plupart sur les deux îles de Blackwell et de Randall, dans le bras de mer qui sépare Long-Island de l’île de Manhattan. Quatre ou cinq mille personnes de tout âge et de tout sexe y sont entretenues aux frais du trésor municipal. Là se trouvent un hôpital, une maison de fous, un hospice, d’enfans trouvés, une autre hospice pour les vieillards, les infirmes et les femmes sans moyens d’existence. Là aussi sont les établissemens de répression, le pénitencier, vaste-prison cellulaire, et la maison de correction, ou work-house, où les contraventions de police punies d’amendes se règlent en journées de travail à raison de 5 francs l’une. Le petit vapeur Bellevue, qui nous conduisit à l’île de Blackwell, y transportait en même temps la fournée correctionnelle du jour. Les femmes y étaient en grande majorité, et quelles femmes ! quels indescriptibles falbalas ! quelles toilettes impossibles, dignes du crayon de Gavarni ! Les unes en cheveux, en robes de soie crottées et décolletées, les autres en chapeaux à plumes qu’on eût dit ramassés dans le ruisseau, toutes en crinolines ! Le mark house reçoit en moyenne trois femmes pour un homme, et comptait environ 1,400 prisonniers lors de ma visite. Vous nous voyez dans un bien mauvais moment, disait naïvement une des surveillantes