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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/202

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mystérieux, le Gog de l’Apocalypse, est même assis sur un des trônes de l’Europe ! Toutefois l’étendue de sa domination n’approche pas à l’heure qu’il est de ce qu’elle sera devenue la veille de la bataille d’Armageddon, car alors elle embrassera. l’Europe entière et peut-être le monde. » Il se peut, disait un des prédicateurs dont nous parlons ; que vous entendiez parfois citer le pape comme étant l’antéchrist ; c’est à tort : l’Écriture est catégorique sur ce point, et nous décrit en termes très satisfaisans la papauté comme la grande prostituée qui siège sur sept collines. Quant à celui qui indubitablement est l’antéchrist, nous devons le plaindre sans l’accuser ; la chose était écrite. « Veut-on maintenant savoir en quels termes clairs et précis ces choses sont écrites ? En voici un exemple entre cent. Que l’on ouvre l’Apocalypse au douzième verset du sixième chapitre : le tremblement de terre dont il y est questions n’est autre que la révolution française en 1789, l’éclipse de soleil est la mort de Louis XVI, et la lune teinte de sang représenté la fin tragique de Marie-Antoinette. Il est triste assurément de penser que la fausse interprétation d’un livre où nous ne devrions puiser que la sagesse puisse donner naissance à de semblables aberrations. Fort heureusement ce n’est que le cas d’un très petit nombre d’esprits, et le protestantisme a porté d’assez beaux fruits aux États-Unis pour qu’on ne craigne ; pas de signaler en passant les tachés sans importance qui font ombre au tableau.

Le résultat le plus remarquable de l’action religieuse aux États-Unis est l’influence qu’elle exerce sur la moralité de la population, car il serait trop triste de ne voir dans le plus ou moins de relâchement des mœurs qu’une question de latitude et de climat. Comme toutes les grandes villes, New-York a ses plaies cachées ; mais nulle part le respect des femmes n’est entré aussi profondément dans les habitudes de chacun ; il est absolu. Elles parcourront seules le pays d’une extrémité à l’autre sans avoir quoi que ce soit à redouter ; l’opinion les protège, et nul n’oserait se permettre la moindre inconvenance à leur égard. J’ai vu à New-York une jeune personne de dix-huit ans, fille d’un des principaux médecins de la ville, arriver de Richmond après avoir traversé seule les deux armées belligérantes, vécu et couché dans leurs camps ; elle racontait son voyage comme une chose toute naturelle. Une femme entre-t-elle dans une voiture publique, dix hommes se lèveront pour lui offrir leur place sans attendre même un geste de remercîment. Il semble que la courtoisie dont se piquait le Français d’il y a cent ans se soit réfugiée chez ces Américains si grossiers, si désagréables d’allures, et, tranchons le mot, si mal élevés. Cependant ce respect a son côté excessif, et on ne peut voir dans la liberté sans bornes qui en résulte