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l’aurore, parmi les brumes que le soleil oriental cherchait à percer, mon frère William, partant pour ses cours de la haute école, aperçut le pauvre animal, grâce à lui sauvé des eaux, suspendu par sa chaîne à une potence improvisée, le corps démesurément allongé et un de ses pieds de derrière effleurant presque le sol.


IV

Ce souvenir me servira de transition pour parler de Bab. Il y a trente-quatre ans de cela, nous sortions de classe, Bob Ainslie et moi, bras à bras, tête contre tête, à la façon exclusive des amoureux et de « copins. »

Au bout de la rue et près de Tron-Church, nous vîmes une foule. « Bataille de chiens ! » s’écria Bob, et le voilà parti, moi de même, tous deux priant le ciel que tout ne fût pas terminé avant notre arrivée. Ainsi des enfans, n’est-il pas vrai ? Les hommes faits d’ailleurs sont-ils autrement ? Et qui voudrait voir éteindre un incendie avant d’en être rassasié, avant que le désastre soit complet ? L’enfant pourrait dire à sa justification que, témoin d’un combat pareil, le plaisir qu’il y prend n’est pas cruauté pure. Il y voit déployer à leur degré le plus intense les trois grandes vertus cardinales de l’homme et du chien : le courage, la dureté au mal et l’habileté guerrière. Autre chose est de courir à une fête de ce genre, autre chose d’exciter des chiens à se battre et de chercher un ignoble gain dans des paris sur leur force respective.

Nous voici donc, Bob et moi, dans le cercle formé autour des combattans. Un petit bull-terrier tout blanc travaille à étrangler un énorme chien de berger, peu accoutumé à se battre, mais qui n’en paraît pas moins un adversaire digne d’estime. Le petit basset, expert en son métier, procède scientifiquement et fait bonne besogne ; son rustique adversaire lutte sans la moindre méthode, mais avec un grand courage et des dents fort aiguës, dons naturels, inférieurs après tout aux talens acquis. Le pauvre Yarrow ne peut empêcher que son agile adversaire ne le saisisse à la gorge, et il roule par terre épuisé, pantelant, anéanti. Son maître, grand jeune berger du Tweedsmuir, beau garçon à peau brune, ne demanderait pas mieux que de tomber sur le premier venu, si la chose était possible. Quant à frapper le petit chien, ce serait, outre la honte, une vaine lâcheté ; il n’en serrerait les dents que plus fort. « De l’eau ! » criaient les uns ; mais la fontaine était loin. « Mordez-lui la queue ! » insinuaient les autres, et un gros homme, officieux malavisé, s’en vient fourrer dans sa bouche, largement béante, la queue touffue du pauvre Yarrow, qu’il mord ensuite à belles dents. C’en était un peu trop pour le berger, dévoré d’anxiétés et couvert de sueur ; avec un