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porté, et pour que le ministre des finances trouvât les moyens nécessaires à la réalisation de ses combinaisons, il ne faudrait pas que le trouble introduit dans les perspectives de la politique se compliquât de nouvelles incertitudes. On avait également nommé M. Rouher parmi les membres qui auraient pu se retirer. C’eût été grand dommage pour la cause de la liberté commerciale, à laquelle M. Rouher est en train de rendre un nouveau et signalé service par la destruction du monopole de la boulangerie. L’organisation restrictive du commerce de la boulangerie était une tradition surannée des temps où l’on croyait que c’était un devoir de l’état de veiller aux approvisionnemens, d’assurer les subsistances et d’en mesurer les prix. Nous pensons que cette politique de prévoyance et d’intervention administrative a été fausse à toutes les époques, et qu’elle est toujours allée contre ses propres fins. Elle avait au moins un prétexte, lorsque l’état, dans l’excès du système protecteur, s’arrogeait le droit d’interdire l’exportation ou l’importation du blé, ou d’aggraver par le jeu de l’échelle mobile les prix des céréales. On la comprenait lorsque l’insuffisance et l’imperfection des voies de communication ne permettaient pas aux denrées alimentaires de se transporter avec la rapidité et la sûreté nécessaires aux lieux où elles pouvaient être demandées par des besoins extraordinaires. Avec la liberté du commerce des grains et avec les chemins de fer, de pareilles appréhensions n’ont plus de fondement. La France a fait l’année dernière à cet égard l’expérience la plus lumineuse. Elle avait dans sa récolte un déficit considérable. Les approvisionnemens supplémentaires lui sont arrivés avec une rapidité, une abondance et des conditions favorables de prix qui lui ont fait traverser facilement une épreuve que les gens du métier, les négocians en blés, avaient considérée comme devant être redoutable. Les partisans de l’ancienne organisation de la boulangerie parisienne s’inquiétaient surtout de la cherté possible du pain, et avaient voulu, par l’institution anti-économique de la caisse de la boulangerie, prendre une garantie artificielle contre la hausse des prix. La grande expérience de l’année dernière n’a pas moins condamné ces craintes chimériques et ce faux système. La question de la boulangerie, soulevée par l’initiative de M. Rouher, a été cette semaine discutée au conseil d’état en présence de l’empereur. Après un remarquable discours du ministre, le conseil d’état, à une majorité considérable et dont le chiffre était inattendu, a voté la suppression de la limitation du nombre des boulangers, celle des approvisionnemens de réserve, celle de la taxe et de la caisse de la boulangerie. On a donc lieu d’espérer la fin de tous les abus qui naissaient de l’organisation du commerce de la boulangerie. La grande industrie pourra être appliquée à la panification et réaliser dans ce genre de production les progrès de qualité et de bon marché que favorise toujours la liberté commerciale. Nous applaudissons de grand cœur aux réformes libérales de ce genre, bien qu’elles ne se réalisent que dans l’ordre des intérêts matériels. Affranchis des lisières économiques par lesquelles ils se sont trop longtemps laissé mener avec une docilité routinière, les Français ap-