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palmiers arac s’harmonisent bien avec le ciel de l’Inde ; le reste de la végétation manque de caractère. Des milliers de barques se pressent contre le bord du fleuve et forment une petite ville flottante. Des Annamites, des Chinois, des Hindous, quelques soldats français ou tagals vont et viennent et composent au premier abord un spectacle étrange dont les yeux sont bien vite rassasiés. Il n’y a plus ensuite grand’ chose à voir à Saïgon, si ce n’est peut-être le long de l’Arroyo Chinois quelques maisons assez propres et en pierre, dont quelques-unes sont anciennes et ont résisté à l’invasion cambodgienne de 1835 ; plus loin, sur les hauteurs, l’habitation du commandant français, celle du colonel espagnol, le camp des lettrés. C’est tout ou à peu près[1]. Cette rue en fondrière, ces maisons éparses, cet ensemble un peu misérable, c’est Gia-dinh-thann, que nous appelons Saïgon.

Ainsi devaient être Batavia, Singapour, Hong-kong, quand les Européens s’y établirent. Un jour peut-être une ville belle et populeuse s’élèvera où nous n’avons vu qu’un village annamite portant encore les traces d’une guerre d’extermination[2]. Sur les hauteurs s’élève la citadelle construite en 1837 par les Cochinchinois. Les fossés ne sont comblés que sur quelques points ; il faudrait peu de travail pour les remettre en état. Les maisons que renfermait cette citadelle sont ruinées. Sur deux lignes parallèles, des amas d’une poussière blanche et fine forment, dans l’intérieur, une chaussée assez longue ; c’est le riz incendié en 1859 et qui brûlait encore en 1861. Vingt-quatre mois d’hivernage n’avaient pu l’éteindre. Les grains de riz, en certains endroits, avaient conservé leur forme, mais ce n’était plus que de la cendre ; le vent, la pression la plus légère, les dispersaient bien vite en poussière. D’après les traditions du pays, cette fournaise recouvrait des trésors considérables.

Quelques détails sont nécessaires ici pour montrer les vicissitudes par lesquelles avait passé Saïgon avant le commencement des opérations décisives accomplies contre les Annamites. Saïgon fut fortifié en 1791 par le colonel Ollivier. Cet officier était un des vingt Français amenés par l’évêque d’Adran, seul reste de cette flotte de vingt vaisseaux et de ces sept régimens qui furent envoyés de France et

  1. Tel était l’aspect de Saïgon au mois de février 1861. Depuis cette époque, sous le commandement du vice-amiral Charner, de grands travaux ont été exécutés, principalement par le génie. La plaine est assainie ; les eaux s’écoulent dans le fleuve par des saignées. De belles routes, larges comme des routes impériales de France, ont été construites. Les rues de Saïgon existent ; les maisons sans doute viendront plus tard. L’arsenal a été fondé. Ces travaux néanmoins modifient peu l’aspect de Saïgon vu du fleuve. Comme autrefois, rien ne rappelle l’idée d’une ville. On a devant soi un paysage plat, sans caractère, que la présence de l’homme anime à peine.
  2. Celle que portèrent les Cambodgiens dans le Cambodge annamite.