Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/346

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

représenter les retraites comme des défaites. La campagne est manquée, et tout est à refaire, si l’on reprend les opérations contre Saïgon.

Il ne faut pas oublier qu’en Cochinchine un des objets principaux de la guerre n’était pas une contribution ou une excuse insérée dans un traité, mais la cession d’un riche territoire. Ce qu’il y eut de plus habile, c’était donc de le prendre. On tirait ainsi d’une longue succession d’efforts un profit qui ne pouvait être dédaigné. Telle fut la pensée qui nous dirigea sur Saïgon. La puissance annamite était alors concentrée dans l’immense camp retranché de Ki-hoa, appuyé sur les forts de Tong-kéou, où étaient ses vivres et ses munitions. Comme l’action qui fit tomber ces lignes formidables fut meurtrière et rudement disputée, on a fait entendre que l’ennemi aurait pu être réduit et contraint d’abandonner Ki-hoa si les opérations avaient été conduites sur un autre point de la Cochinchine, sur Bien-hoa sans doute. Il est beau de réduire une armée ennemie sans la combattre, par une suite d’opérations savantes, en lui coupant ses vivres et ses munitions ; mais les Cochinchinois ne sont pas le peuple qu’il faut pour ces grands succès de stratégie. On accule un ennemi européen contre un fleuve, un lac, un marécage ; les soldats annamites se jouent de ces obstacles. Dans l’occasion, ils enterrent leurs pièces, se glissent dans les roseaux comme des bêtes fauves dont ils ont la couleur, et disparaissent en enlevant leurs morts ; de traces humaines rien, si ce n’est quelques taches de sang. Toutefois ces considérations, qui sont générales, n’ont pas même besoin d’être invoquées pour le cas en question ; Bien-hoa n’avait aucun rapport avec Ki-hoa. Si l’on eût commencé par prendre Bien-hoa, donnant ainsi à une place inachevée une importance capitale, loin d’inquiéter ou d’entamer les lignes de Ki-hoa, on eût perdu Saïgon. Le camp retranché, d’un circuit de 20 kilomètres, qui avait fini par enserrer Saïgon, vivait par Tong-kéou (la ville du tribut), et non par Bien-hoa, dont il pouvait se passer. Il était fortement implanté et établi de longue main sur la province de Gia-dinh. Il tenait en échec tous nos essais de commerce malgré notre possession du marché chinois. L’armée annamite pouvait étendre ses bras, tenir le haut du pays ; elle pouvait, dans d’autres circonstances, les replier, se concentrer et vivre. En manœuvrant tout autour de ce grand camp, on ne l’eût pas compromis. Ses relations avec Bien-hoa étaient politiques, et non point militaires. Le camp pouvait vivre sans Bien-hoa, longtemps sans My-thô. Il fallait tout d’abord dégager Saïgon, dont l’investissement par une armée annamite était humiliant pour nos armes, dangereux, s’il se prolongeait, pour l’influence du nom français en Orient. L’armée annamite fut écrasée, puis dispersée par un choc inévitable, porté avec une grande vigueur. Le plan qui fit aboutir nos efforts à cette action de