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commandé. Il fut employé utilement, et c’est de l’hivernage de 1861 qu’il faut dater l’établissement des Français en Cochinchine. Les instructions de notre gouvernement se trouvaient non-seulement suivies, mais même dépassées. Le commandant en chef s’appliqua pendant cet hivernage à faire accepter notre domination aux Annamites et à développer nos moyens d’action. Il créa un hôpital pour les indigènes, ce qui fut auprès d’eux un puissant moyen d’influence. Il institua des écoles pour enseigner la langue du pays aux Français et le français aux habitans de l’Annam ; il fit imprimer à Bang-kok un vocabulaire cochinchinois rédigé par son ordre. Les routes, les ponts furent réparés ; de nouvelles routes furent ouvertes ; on construisit des casernes, des magasins à poudre, d’autres magasins pour les vivres et les approvisionnemens, des salles d’hôpital, des cales pour le montage des canonnières. Les travaux de construction d’un phare au cap Saint-Jacques furent commencés ; l’importance du fort du Sud fut triplée. Le commandant en chef augmenta la flottille, approvisionna Saïgon de bois par des trains flottans qui descendirent le Vaï-co et le Don-naï. Il créa un matériel roulant de quarante voitures attelées, porta la cavalerie de cinquante chevaux à deux cents chevaux, le corps des coulies à neuf cents. Il arma une compagnie cantonnaise, une compagnie annamite, et renforça le corps expéditionnaire de la garnison de Canton, qui valait mieux que des milliers d’Annamites. Enfin il fit venir du nord de la Chine des hommes, des canons, des fusils et des mules. la fin de cette saison d’hivernage, le peuple ne se débattait plus que sur quelques points isolés, la sécurité de la province de Saïgon était complète, et tel marchand français se rendait seul à cheval de Chô-leun à Tay-ninh pour y faire le commerce de la droguerie du pays. Le mouvement des échanges avait décuplé à la ville chinoise, ainsi que le prouvent les relevés officiels. Les convois de bateaux qui se rendaient de Saïgon à My-thô dépassaient souvent un chiffre de deux cents. Quand le contre-amiral Bonard prit le commandement des mains du vice-amiral Charner, toutes les ressources, développées avec suite pendant l’hivernage, étaient prêtes. Quinze jours après, Bien-hoa était enlevé sans résistance sérieuse de la part de l’ennemi. Le caractère des événemens militaires qui se sont succédé depuis quatre ans en Cochinchine est désormais fixé. Trois faits de guerre se dégagent des autres, qui ne sont qu’accessoires, et les dominent. Ces grands traits des à présent sont arrêtés, et sont destinés à émerger de l’ombre que le temps appesantit de plus en plus.

Le premier fait de guerre est la prise de Saïgon par l’amiral Rigault de Genouilly, le 17 février 1859. La pointe qui fit tomber Saïgon fut hardie et brillante ; la pensée d’établir au cœur de la plus riche province annamite un centre d’action désormais européenne