Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/372

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

monts se creusent les vallées, semblables aux abîmes d’une mer bouleversée et saisie d’un froid intense au plus fort de la tourmente. Peu profondes et d’un climat sévère dans le voisinage de la grande chaîne, elles s’approfondissent, elles s’élargissent, offrent une température plus douce en s’éloignant de leur point de départ, et elles s’ouvrent enfin par de larges issues sur les splendides bassins du Léman, du Rhône et de l’Isère, où se précipitent toutes les eaux de la Savoie. Le pays, qui paraissait un immense chaos frappé de stérilité quand on n’en apercevait que les parties supérieures du relief, offre maintenant le spectacle varié d’une succession de vallées verdoyantes débouchant les unes dans les autres, où la végétation étale ses merveilles et où le sol produit à côté de la flore sauvage des climats du Nord celle des climats privilégiés de la France centrale. Les plantes montent à l’assaut des hauteurs, et telle est la puissance de la vie végétale sur ce sol accidenté qu’à peine la dixième partie de la superficie est improductive. Les 130,000 hectares marqués improductifs au cadastre représentent les sommités couronnées de neiges permanentes, les affleuremens de roches, les lits et les gravières des nombreux torrens et rivières alimentés par la région des glaciers.

La limite inférieure des neiges permanentes descend dans le massif de Savoie jusqu’à 2,700 mètres au-dessus du niveau de la mer, et le point du sol le plus bas est à 200 mètres, niveau des plaines de la Saône. Toute la surface productive est comprise entre ces deux limites extrêmes. Sur les 2,500 mètres intermédiaires se passent des phénomènes de végétation du plus haut intérêt pour les sciences naturelles et l’économie agricole. Les plantes, les productions diverses sont distribuées par régions suivant le degré d’altitude barométrique ; elles forment des zones horizontales qui coupent les versans, régulièrement superposées quand le travail de l’homme ne vient point en troubler la distribution naturelle. En descendant la montagne, on parcourt toute la série des forces productives du sol.

Voici d’abord la région des gazons qui succède immédiatement à celle des neiges. Ils poussent menus et serrés sous le chaud rayon du soleil d’avril, environnent les sommets et tapissent les anfractuosités des rochers. Leur couleur d’un vert profond tranche vivement sur la blancheur éclatante de la zone supérieure. Là commencent les grands pâturages aux pentes rapides, que parcourent d’un pied léger et sûr la petite vache des Alpes et les immenses troupeaux de moutons venus des régions de la plaine ; plus bas, mais déjà à une hauteur de 2,000 mètres, les premières habitations humaines de la belle saison, le chalet caché dans un pli de la montagne, ramassé sur lui-même et surchargé de lourdes pierres plates