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toute fonte qui n’est pas trop sulfureuse ou phosphoreuse peut-être utilement travaillée par le procédé Bessemer[1]. Ce procédé résout donc le problème de faire de l’acier abondamment, de le faire à bas prix, et de le faire dans presque toutes les variétés qui répondent aux divers besoins de l’industrie. L’acier deviendra ainsi une substance commune. Il sera dès lors du plus grand emploi, car c’est un métal qui se recommande par dès qualités dont aucun autre ne présente la réunion. Il combine celles de la fonte et celles du fer, et il est exempt de la plupart des inconvéniens de l’une et de l’autre.

Pour les chemins de fer, l’acier à bon marché promet une amélioration considérable : on pourra faire en acier les pièces de la voie qui fatiguent le plus, celles que détruit si rapidement le passage des trains et surtout des lourdes locomotives, auxquelles on a nécessairement recours avec la grande circulation des principales artères, puisque c’est le seul moyen d’avoir sur les rails la forte adhérence sans laquelle on ne pourrait traîner les pesans convois. Pour la construction des organes des machines qui aujourd’hui se font en fer, l’acier donnera une matière plus résistante sous un moindre poids, ce qui Vendra les pièces plus maniables et les machines plus portatives. Pour les locomobiles, ce sera un perfectionnement très précieux. On pourra même avoir des rails en acier. On peut voir, dans le rapport de M. Perdonnet, que la compagnie du grand chemin de fer du Nord (Great Northern), en Angleterre, remplace les rails en fer par des rails en acier. On estime que la durée des rails en acier sera triple. Ce sera une grande commodité pour l’exploitation.

La fabrication de l’acier en masse et à bon marché est un des plus grands bienfaits dont l’industrie puisse être gratifiée, une addition considérable à sa puissance. Telle est la découverte qu’apporte M. Bessemer, et qui a causé de l’émotion parmi les juges de l’exposition. Pour la puissance du genre humain et pour son bien-être, c’est d’une autre portée que la découverte des mines d’or de la Californie ou de l’Australie. Sans doute ce procédé n’a pas encore dit son dernier mot ; mais il ne peut beaucoup tarder à le faire connaître, et, ce qui prouve la confiance qu’il inspire, déjà plusieurs de nos grands ateliers métallurgiques montent chez eux l’appareil Bessemer.

  1. Il résulte des expériences faites par un membre éminent du jury français, M. Frémy, dans l’aciérie de M. W. Jackson à Saint-Seurin, que par le procédé Bessemer, manié convenablement, en variant les sortes de fonte ou en associant, dans certaines proportions aisées à calculer, des fontes tout à fait ordinaires avec les fontes jusqu’ici réputées aciéreuses, on peut à volonté obtenir soit une sorte d’acier qui par la trempe acquiert une extrême dureté, soit de l’acier tendre qui durcit peu par la trempe, mais qui est extrêmement tenace et par cela même propre à d’autres usages, soit enfin les qualités intermédiaires.