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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/382

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contre la nature alpestre, le climat, le torrent et l’avalanche, et jetant, en dépit de tous les obstacles, ses audacieuses cultures jusqu’aux limites des éternels hivers.

Cette terre qui lui coûte tant de fatigues, le peuple de Savoie la recherche avidement et l’aime d’un amour exagéré, aveugle. Il la paie des prix insensés. Elle est d’un prix plus élevé en Savoie que dans les autres départemens, plus élevé en montagne qu’en plaine, quoiqu’ici la rente soit supérieure et la culture moins laborieuse. La raison en est simple : le commerce et l’industrie étant peu développés, les capitaux qui se forment dans le pays et ceux qui sont amenés des pays étrangers par une émigration périodique ne cherchent pas d’autre emploi que la terre, et comme l’émigration puise plus largement parmi la population des montagnes que parmi celle des plaines et y ramène plus d’argent, il est naturel que les prix soient plus élevés dans le haut pays. L’écart entre les prix a provoqué un curieux mouvement de la population : celle des vallées hautes s’est reportée sur les parties basses, attirée par des prix inférieurs et peut-être aussi par l’attrait puissant d’un climat moins sévère. Le mouvement a été sensible surtout de 1815 à 1848. Pendant cette période de paix générale, sous un gouvernement qui favorisait l’accroissement de la population par le système singulier des primes accordées aux familles nombreuses, elle avait élargi son champ de travail agricole, défriché les landes, resserré les torrens, reculé le front de la forêt, abattu la haie épaisse le long des chemins et des sentiers, et les cultures étaient montées jusqu’à la limite extrême de la force productive du sol. Celui qui chercherait dans le cadastre de 1738 la distribution actuelle du territoire entre les diverses productions courrait assurément grand danger de se tromper. C’est néanmoins sur ce cadastre qu’est encore assise aujourd’hui la contribution foncière de la Savoie ; c’est sur cette base incertaine que le régime sarde a élevé ses surimpositions, et le régime français ses centimes généraux, facultatifs, ordinaires et extraordinaires. Les plaintes des contribuables après l’annexion trouvent dans cette incertitude sur la matière imposable leur excuse et leur explication ; mais les opérations cadastrales qui se poursuivent en ce moment vont faire cesser bientôt l’incertitude. Elles auront sans doute à constater l’extension de la surface cultivée dans les montagnes. Le flot grossissant de la population s’arrêta enfin, et l’on comprit qu’il y avait quelque chose de mieux à faire que de gratter le sol ingrat des hauteurs. Les plus entreprenans vendirent leurs parcelles et en reportèrent le prix dans la région inférieure, où ils s’arrondirent des propriétés d’un meilleur rapport. Cependant le succès n’a pas toujours accompagné ces déplacemens agricoles. La