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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/416

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minerai trié. Toutes ces facilités naturelles expliquent pourquoi les exploitations des Hurtières ont pu être conduites par des mains inhabiles et avec de faibles capitaux.

La vie des ouvriers qui y travaillent est intéressante à étudier. Le personnel des mines se recrute principalement parmi la population répandue sur le flâne oriental de la montagne, dans cette commune de Saint-George qui possédait autrefois tous les filons. Elle regarde encore comme son privilège l’extraction du minerai, et elle le défend contre l’invasion des ouvriers étrangers à la localité avec la même jalousie que jadis elle mettait à défendre la propriété des mines contre les propriétaires de hauts-fourneaux. Avec ses préjugés et ses souvenirs, le père transmet sa profession aux enfans. Tout jeunes, ils sont employés au cassage et au triage ; aimés d’un marteau, ils s’assoient à la bouche des fours éteints et frappent à coups redoublés les blocs de minerai au fur et à mesure qu’ils dégorgent, rejetant d’un côté les gangues et de l’autre les parties utiles, réduites à la grosseur d’une noix. Noirs, couverts de la poussière du charbon, ils s’ensevelissent au milieu des amas de minerai qui montent lentement autour d’eux, et derrière lesquels ils finissent par disparaître, car leur présence n’est révélée que par le bruit sec et monotone du marteau sur le bloc. Plus âgés et plus forts, ils entrent dans la mine, cassent le minerai cru et le portent au four à griller, ou bien ils essaient leur vigueur au traînage : ils s’élancent d’abord sur la première pente avec le traîneau sans roues, puis dans la seconde, jusqu’au pont d’Argentine, avec le traîneau à roues et le mulet. Les plus habiles d’entre les adultes attaquent la roche, sont mineurs proprement dits. Enfin tous reviennent au point de départ, à la culture des champs, qu’ils n’ont jamais entièrement abandonnée, car toute cette population fait alterner le travail de la terre avec celui de l’industrie. La morte saison agricole est la saison active de la mine, et l’hiver est le beau temps du mineur : trois ou quatre cents ouvriers sont alors occupés à faire sauter le roc, et les cavités profondes de la montagne retentissent continuellement du bruit des sourdes explosions. Ils remontent définitivement à la surface au printemps, pour les fêtes de Pâques, et jusqu’à l’automne prochain les diverses préparations du minerai et le transport alterneront avec les travaux des champs.

Ces habitudes moitié agricoles, moitié industrielles, forment le trait caractéristique de la population ouvrière de la Savoie. Partout où une industrie quelconque a pénétré, elle s’est mariée sans effort à l’agriculture. Il y a du cultivateur dans chaque ouvrier savoyard, à quelque industrie qu’il appartienne. Il ne se laisse pas sans violence éloigner de la terre par le flot industriel. Au sein des grandes