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Je ne discuterai pas avec le professeur de Louvain sur ce qu’il appelle le patronage. Ce mot peut avoir deux sens, l’un inconciliable avec les principes de la société moderne, l’autre au contraire profondément utile. Le premier est le patronage légal, c’est-à-dire un ensemble d’obligations positives entre le maître et l’ouvrier, qui rappellerait de près ou de loin l’ancien patriciat. Il faudrait être bien aveugle pour rêver un pareil retour vers le passé, et pour ne pas comprendre qu’il n’y a désormais rien à attendre que de la liberté la plus entière des deux parts et de la parfaite égalité des droits. Le second est le patronage volontaire, librement accordé, librement accepté, ou, pour mieux dire, car ce mot de patronage peut encore soulever des ombrages, une sollicitude affectueuse des entrepreneurs d’industrie pour l’état moral et matériel de leurs ouvriers. L’économie politique ne repousse que l’intervention de la loi, et encore pas toujours, car elle a accepté la loi sur le travail des enfans dans les manufactures. Il suffit de lire les éloquentes études de M. Reybaud sur la condition des ouvriers en soie pour voir combien tout économiste digne de ce nom se préoccupe de ce grave côté de la question industrielle. Il y a bien peu de chefs d’atelier qui ne veillent aujourd’hui à la moralité, à la santé, au bien-être de leurs ouvriers non moins qu’à leur travail, et, quand ils manquent à ce devoir, l’opinion publique les y rappelle avec sévérité.

Entre autres exemples, empruntés pour la plupart à M. Reybaud, M. Périn aime à citer la manufacture d’étoffes de soie de Jujurieux, dans le département de l’Ain. Des femmes suffisent à ce travail, où la dextérité importe plus que la vigueur. Cet emploi exclusif des femmes a permis d’établir une règle qui, par sa sévérité, se rapproche des congrégations religieuses. On n’y prononce pas de vœux ; mais, dans la limite de leurs engagemens, les ouvrières sont astreintes à un genre de vie qui les isole du monde extérieur. Des sœurs ont le gouvernement de la maison. On n’admet que des jeunes filles ou des veuves sans enfans. Les ouvrières, logées, nourries et entretenues dans l’établissement, reçoivent, au lieu de salaires, des gages fixes par an. Il en est peu parmi elles qui n’aient point une épargne, et ces économies restent dans la caisse à titre de dépôt. Lorsque pour un motif ou pour un autre une ouvrière quitte la maison, on règle son compte et on lui remet la somme accrue des intérêts. Presque toujours la sortie a pour cause un établissement, car les cultivateurs du voisinage prennent volontiers leurs femmes dans la manufacture de Jujurieux. Rien de plus parfait à coup sûr, rien de plus sacré qu’une pareille maison ; mais il est facile de voir que, par sa rigueur claustrale, elle ne peut être qu’une exception.

En règle générale, le meilleur patronage est celui qui respecte le