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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 novembre 1862.

Nous ne saurions dissimuler le chagrin profond que nous inspire la dépêche de M. Drouyn de Lhuys sur les affaires américaines, publiée hier par le Moniteur. Le gouvernement français vient d’inviter les cabinets de Londres et de Pétersbourg à s’entendre sur une démarche concertée que les trois puissances maritimes de l’Europe auraient à faire auprès du gouvernement de Washington et des états confédérés pour les amener à conclure une suspension d’armes de six mois. La gravité de cette démarche ne peut échapper à quiconque est capable de mesurer la portée des actes politiques. Celle-ci n’aura point immédiatement tous les effets dangereux que l’on eût pu en redouter, le concert proposé à l’Angleterre et à la Russie n’ayant pu s’établir. On prétend que l’ouverture de la France aurait été accueillie à Pétersbourg ; nous nous permettons de douter que l’acquiescement de la Russie ait été entier et sans réserve quand nous considérons toute la tradition de la politique russe envers les États-Unis. Ce qui est certain, et cela suffit pour empêcher qu’il y soit donné suite, c’est que notre invitation a été déclinée par le gouvernement britannique. La publication de la dépêche de M. Drouyn de Lhuys n’en est pas moins grave à nos yeux. Pour la première fois, une pensée d’immixtion dans les affaires des États-Unis est officiellement révélée par le gouvernement français.

C’est l’existence d’une telle pensée, maintenant publiquement manifestée, qui excite nos plus vifs regrets et nos plus sérieuses appréhensions. Mon Dieu ! il ne peut y avoir de dissidence sur le sentiment même dont s’inspire la dépêche du 30 octobre. Qui n’a le cœur navré du spectacle de la sanglante guerre qui désole l’Union américaine ? Qui ne voudrait voir finir cette boucherie où s’épuise le peuple le plus jeune du monde et celui qui jusqu’à ces derniers temps en avait paru le plus vivace ? Qui ne gémit pas du contre-coup de cette crise sur notre propre Europe, à laquelle elle dérobe le pain de l’industrie, le coton, et qui ne pense avec angoisse à ces milliers d’ouvriers souffrant ici, en France et en Angleterre, la misère et la