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théâtre. Parmi les morceaux importans qu’on écarte à la représentation, il faut citer la scène finale du second acte. Lorsque don Juan a disparu dans le gouffre où l’entraîne l’ombre irritée du commandeur, tous les personnages du drame reviennent sur la scène, en demandant ce qu’est devenu le scélérat qui les a tous trompés :

Ah ! dove è il perfido !

Leporello, qui est caché sous la table et qui tremble de tous ses membres de la scène horrible qu’il vient de voir, leur répond que don Juan est bien loin, et qu’ils ne le reverront plus. Ce dialogue entre Leporello et les autres personnages se termine par cette sentence que tout le monde profère :

E de perfidi la morte
A la vita è sempre egual.

« La mort des perfides ressemble toujours à leur vie. » C’est la morale de la pièce, formant une conclusion qui rappelle le drame religieux du XIVe siècle. Cela donne lieu à un sextuor vivement incidenté, mais qui ne s’élève pas à la hauteur du magnifique finale que tout le monde connaît. Nous aurions désiré que, dans une courte préface comme celle qui a été mise en tête de la petite partition de la Servante maîtresse, on eût donné les renseignemens nécessaires sur la date de la première représentation de Don Juan, sur le personnel qui l’a interprété, sur les morceaux que Mozart y a introduits plus tard, et sur les changemens nombreux que les arrangeurs de théâtre ont fait subir à la mise en scène de ce beau drame. Quoi qu’il en soit de ces folies, la nouvelle partition de Don Juan est digne d’entrer dans une bibliothèque d’amateur, car elle est la plus correcte et la plus complète qui existe dans le commerce.

Le Théâtre-Lyrique, depuis sa réouverture, dont nous ayons déjà parlé, a continué l’exhibition des ouvrages qui font partie de son répertoire. Après la Chatte merveilleuse de M. Grisar, on a donné Orphée de Gluck avec Mme Viardot. Nous avons donc revu la nouvelle salle, que nous avons trouvée trop chargée de clinquant et plus riche que belle, et, sans nous réconcilier entièrement avec le nouveau système d’éclairage, dont les femmes ne tarderont pas à se plaindre, nous avons trouvé que la lumière qu’on y distribue maintenant est moins intense, et qu’on peut à la rigueur la supporter. Souhaitons maintenant à M. Carvalho des jours prospères et de bonnes recettes. Que va-t-il faire ? La tâche qui lui incombe n’est pas facile. Il lui faut concilier le passé avec le présent, respecter les morts et vivre avec les vivans. C’est avec les Noces de Figaro, avec Orphée, Oberon et le Freyschütz qu’il a pu autrefois se risquer à donner le Faust de M. Gounod, sa meilleure trouvaille, et la Reine Topaze de M. Victor Massé, c’est-à-dire que ce sont les vieux qui ont permis aux jeunes de naître.

Les temps sont-ils changés ? Sommes-nous plus riches en compositeurs d’avenir, et n’y a-t-il qu’à tendre la main pour trouver cet oiseau rare