Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/507

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans les circonstances présentes, il se déclare l’ennemi des doctrines et des actes du nord. Cette hardiesse, qui porte M. Spence à jouer ainsi cartes sur table, ne se dément point dans le cours de l’ouvrage. Au lieu de s’attarder à l’étude des luttes parlementaires que la question de l’esclavage a soulevées depuis la fondation de la république, au lieu de discuter tout d’abord le droit constitutionnel de la séparation, il s’en prend résolument aux mœurs démocratiques des États-Unis ; il accuse la liberté républicaine et la rend responsable de tous les maux qui affligent aujourd’hui l’Amérique. C’est la liberté qui est la grande coupable ! L’esclavage, que les naïfs ont la manie de mettre en cause et de considérer comme la raison première de toutes les complications actuelles, n’est dans l’histoire des États-Unis qu’un simple incident, et s’en occuper d’une manière spéciale est faire preuve d’une véritable petitesse d’esprit ! Posant en axiome que « la démocratie pure n’a d’autre base que la force matérielle, » M. Spence peut facilement faire découler de cette source salie un torrent de vices et d’iniquités. Il décrit avec complaisance la trop réelle démoralisation politique et sociale qui, sous les présidences antérieures à celle de M. Lincoln, éclatait sans cesse en de nouveaux scandales ; il dépeint tous les hommes politiques du nord comme autant de déclamateurs de profession qui mettent leur conscience à l’encan, trafiquent ouvertement des votes, et rejettent systématiquement dans l’ombre tous les personnages d’un véritable mérite ; puis, après avoir tracé un lamentable tableau de l’avilissement national, il l’attribue tout simplement à l’influence funeste exercée par la constitution et les mœurs démocratiques. C’est de là que dérive aussi le mépris dans lequel était tombé la loi. Lorsque le représentant Brooks, « quoique faible et d’une santé délicate, » se donna la satisfaction d’assommer, dans le temple même de la patrie, le sénateur Sumner, « homme de taille et de formes athlétiques, » c’est la vicieuse organisation politique des États-Unis et non l’influence délétère de l’esclavage qu’il faut rendre responsable de l’enthousiasme universel provoqué chez les planteurs par cet attentat. Quant aux expéditions des flibustiers, à l’invasion de Cuba, aux guerres sanglantes du Nicaragua et du Honduras, M. Spence n’y fait pas même allusion. Il ne se souvient que du mauvais vouloir et de l’indélicatesse du congrès américain dans les questions du Maine et de l’Orégon, questions où l’extension de la servitude des noirs n’était, il faut le dire, nullement intéressée.

Puisque la liberté, dégénérée en licence démagogique, doit porter la responsabilité des malheurs du peuple américain, il est facile de mettre l’esclavage complètement hors de cause en le lavant de toutes les imputations malveillantes dont on l’a fait l’objet. M. Spence confesse, il est vrai, que l’asservissement des nègres est un mal ; mais après avoir fait cette concession, dont nous devons lui savoir gré, il se hâte de regagner le terrain perdu en peignant sous des couleurs agréables la position de l’esclave. Ce malheureux état, que le congrès confédéré cependant est bien forcé de reconnaître comme le pire de tous, puisqu’en votant la pendaison pour les officiers