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but. «Il espérait beaucoup, disait-il, de la bonne volonté des princes allemands; » — peut-être que dans son for intérieur il espérait encore plus de la douce violence que pourraient lui faire les événemens. Quant au régime à établir dans son propre pays, les institutions représentatives le tentaient et l’effrayaient à la fois; orateur lui-même et aimant à se faire entendre, il avait du goût pour la parole, pour les discours même des autres, pourvu que les plaidoiries fussent brillantes et que le jugement ne fût jamais prononcé par d’autres que lui. Un des traits les plus frappans des romantiques a été la recherche constante d’une atlantide perdue : en étudiant les poésies, les mythes, les religions de tous les âges et de tous les peuples, ils croyaient arriver un jour à quelque vérité enfouie et principale, à une « forme primitive et absolue. » De même Frédéric-Guillaume IV fut, lui aussi, toujours à la recherche d’une forme primitive en politique, d’une grande tradition germanique perdue, et qu’il s’agissait de ressaisir dans les vestiges des siècles passés. Ce qui lui répugnait surtout, c’était l’idée d’une stipulation quelconque avec ses sujets, d’un contrat passé par-devant notaire, d’une lettre morte qui aurait tué « l’esprit » et annulé la grâce efficace qu’il tenait de Dieu. «Je ne permettrai jamais, — ce furent les paroles célèbres qu’il prononça à l’ouverture des états-généraux, — je ne permettrai jamais qu’un morceau de papier vienne s’interposer entre le Seigneur Dieu en haut et moi, et prétende me gouverner par ses paragraphes à l’instar d’une seconde Providence...» Vanité de l’assurance humaine! L’année qui entendit cette déclaration pompeuse venait à peine de finir, et le fier illuminé dut non-seulement accepter et jurer une constitution bien moderne, bien bourgeoise, mais saluer encore les cadavres des insurgés qu’on portait devant son palais.

Les premières années de ce règne se passèrent cependant pour la plupart dans des agitations religieuses. Les Amis de la lumière (Lichtfreunde) remplissaient les airs de bruyantes clameurs et tiraient les dernières conséquences déistes de la réforme; d’un autre côté, les catholiques de Ronge élevaient la singulière prétention de rompre avec l’église romaine sans toutefois devenir protestans, et trouvaient leurs enthousiastes, leurs fanatiques même. Il a pu sembler un moment qu’un mouvement théologique allait remplacer en Allemagne le mouvement littéraire, comme cela du reste est arrivé plus d’une fois dans ce pays, et que les doctrines de la grâce et du salut submergeraient les doctrines constitutionnelles à peine écloses. Ce ne fut pourtant que l’apparence, et la théologie ne servit ici que de prétexte. Les Amis de la lumière faisaient tout simplement acte d’opposition contre le gouvernement contre ses tendances piétistes et le ministère Eichhorn; quant à l’essai malencontreux de Ronge, il