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profonds régimens. C’était le corps du maréchal Oudinot que l’empereur lançait sur Wagram.

Le lendemain, sur ce champ de bataille tout couvert de cadavres et de débris, Napoléon passa une grande revue de l’armée. Arrivé à la brigade Debain, il demanda le général et les colonels. On lui répondit qu’ils étaient morts. Ce cri de mort après la victoire est le funèbre écho des foudres éteintes du combat. On lui présenta le plus ancien chef de bataillon. C’était Pierre.

— Ah ! dit l’empereur en souriant, c’est vous, monsieur le général en chef?

Pierre s’inclina.

— Colonel Pierre, ajouta Napoléon en s’éloignant, vous faites partie de mes officiers d’ordonnance.

La victoire de Wagram, suivie de l’armistice de Znaïm, mit fin à la campagne de 1809. Quand l’empereur revint à Paris, Pierre l’accompagna. Il était encore tout à l’enivrement de sa rapide fortune, et se disait avec orgueil qu’il ne la devait qu’à lui-même et à l’heureuse idée qu’il avait eue de faire de son corps, sans en écouter les révoltes ou les désirs, l’instrument obéissant de son intelligence et de sa volonté. Annuler le corps, n’est-ce point débarrasser l’âme de ses entraves et lui assurer le libre exercice de ses facultés et de son génie? Aussi résolut-il de persévérer dans cette voie. Ce n’était plus, il est vrai, l’art militaire qui le captivait. De deux à trois ans on ne semblait point devoir se battre. C’étaient les secrets du gouvernement, les intrigues d’une grande cour qu’il voulait pénétrer. Cet ambitieux ne croyait plus à rien d’impossible. Napoléon, qu’il admirait tant, n’était-il pas à la fois administrateur, politique et guerrier? Il s’étudia donc et réussit à devenir un parfait courtisan. Il n’eut point d’ailleurs à redouter l’écueil ordinaire de ceux qui briguent la faveur du maître. Ni ses passions, ni sa personnalité ne lui firent obstacle. Il effaçait constamment l’une et avait supprimé les autres. A l’abri des émotions, il n’eut besoin ni de dissimuler, ni de composer son visage. Sa tenue était élégante et facile, sa physionomie toujours calme et souriante. Il écoutait poliment, en songeant à autre chose, les solliciteurs et les importuns. Il fut bientôt le confident de tous, il connut les petits complots de palais, les visées de chacun; mais par cela même il se convainquit de la futilité, de l’inutilité de la tâche qu’il s’était imposée. On n’improvise pas en quelques mois une double carrière, et si le général Sébastiani venait d’être récemment ambassadeur à Constantinople, c’était là un rôle exceptionnel auquel Pierre ne pouvait aspirer encore. Alors, l’attrait de la curiosité n’existant même plus, il en vint au désenchantement de la vie qu’il menait. Il appelait de tous ses vœux le moment où