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n’autoriser avant cinquante ans aucun établissement de ligne télégraphique entre la France et l’Algérie par la voie de Corse et Sardaigne. La compagnie devait être déchue de ce privilège par une interruption de correspondance qui durerait une année ; la déchéance a été prononcée pour cette cause dans le cours de l’année 1861.

M. Brett n’avait aucune donnée sur la profondeur de la Méditerranée dans les parages qu’il allait traverser. Il fit choix d’un câble à six conducteurs, renforcé par douze gros fils de fer et pesant 5,000 kilogrammes par kilomètre. Ce nombre de conducteurs paraîtrait excessif aujourd’hui, car on n’immerge plus sur les lignes de quelque longueur que des câbles à conducteur unique; mais alors on n’avait pas obtenu, même sur les lignes terrestres, la vitesse de transmission que l’on a réalisée depuis, et d’ailleurs le gouvernement français s’était réservé l’usage exclusif de deux fils.

La section de la Spezzia au cap Corse fut immergée en juillet 1854 avec un succès complet, et, fait bizarre, ce câble est resté jusqu’à ce jour en bon état malgré l’inexpérience des fabricans, en dépit des imprudences commises pendant ou après la pose, nonobstant les courans électriques intenses que l’on a employés pour l’exploitation et les dangers des décharges atmosphériques. On n’a jamais eu besoin de le réparer, et l’on ignore encore aujourd’hui la profondeur des eaux où il repose; on l’estime à 500 ou 600 mètres.

Le câble du détroit de Bonifacio fut immergé la même année, et pendant l’été de 1855 les concessionnaires firent une première tentative d’immersion entre Bone et Cagliari, Sur leur demande, le gouvernement français avait fait sonder cette région, et les ingénieurs hydrographes avaient trouvé des profondeurs considérables, 3,000 mètres environ. Avec quelque expérience de la matière, on aurait compris que le modèle de câble adopté était trop lourd pour une telle profondeur, car, librement suspendu dans l’eau, il devait se briser sous une hauteur un peu plus grande. On commit une autre faute : la guerre de Crimée ne laissant plus de bâtimens à vapeur disponibles, le câble fut chargé sur un navire à voiles de fort tonnage. Les concessionnaires avaient obtenu du gouvernement français l’escorte d’un bâtiment à vapeur de la marine impériale qui devait seulement indiquer la route, et qui dans cette occurrence consentit à remorquer le navire porteur; par suite, la marche des deux navires était très lente. En outre, les freins étant mal établis et trop faibles, la longueur de câble immergé dépassait de beaucoup la longueur du chemin parcouru. On était encore loin de la côte d’Afrique, et M. Brett avait fait arrêter l’émission pendant la nuit, hésitant à poursuivre l’opération, qui, faute d’un conducteur suffisamment long, ne pouvait aboutir, lorsque le câble se rompit à l’arrière du navire